Pour un droit des salariés à la déconnexion d'avec leur employeur

Une addiction : Le "toujours connecté"

Dans une société de plus en plus hyperconnectée, et posant cette hyperconnexion comme une condition même du fonctionnement social, l'employeur se sent souvent autorisé à solliciter son employé en dehors des heures ou des jours de travail, et, évidemment, du lieu de travail. Et sans protection explicite du personnel contre ces pratiques, sans droit explicite de les refuser sans être d'une manière ou d'une autre en être puni, le personnel, trop souvent, y consent.  La culture du "toujours connecté" est en fait une addiction à la connexion. Et la "culture d'entreprise" une culture de non-résistance à cette addiction. En outre, le télétravail, qui s'est imposé à l'insu de notre plein gré pendant la pandémie, est vecteur de sollicitations incessantes de l'employeur à destination de l'employé hors de son temps et de son lieu de travail, d'intrusion dans sa vie privée, d'invasion de son espace privé, de confusion de sa vie professionnelle et de sa vie privée... et de surveillance par l'employeur de l'usage des ordinateurs ou des téléphones privés de l'employé, utilisés à des fins professionnelles, alors que l'employeur est tenu de fournir à l'employé toute l'instrumentation nécessaire à l'accomplissement de sa fonction et de payer les coûts de leur utilisation. Mais qui paie la consommation d'électricité, la connexion internet, l'imprimante, l'encre ou le toner, le papier, consommés par l'employé connecté qui travaille chez lui, avec son propre matériel? Comment sortir de cette situation ? En assurant un droit à la déconnexion, comme un droit constitutif du droit à la protection de la personnalité. 


Respecter la volonté, ou la prétention, de la Ville de Genève d'être un employeur exemplaire...

Contrairement à d'autres pays, il n'y a pas en Suisse, de droit à la déconnexion -plus précisément dit : de droit garanti aux employés par la loi à se déconnecter du lien avec l'employeur, sans être sanctionnés par celui-ci. Ce droit, pourtant, est constitutif d'un droit à la protection de la personnalité, posé par diverses dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires existantes, et appliqué par des pratiques reconnues,  dont on peut faire usage pour protéger les employés contre une intrusion de l'employeur dans leur vie privée. 

La Constitution fédérale consacre (art. 10) le droit à la liberté personnelle et (art. 7) le droit à la dignité humaine, la Constitution cantonale genevoise garantit le droit à l'intégrité numérique et à une "vie hors ligne", la loi fédérale sur le travail fixe des limites aux heures de travail, et des minima de périodes de repos (les employés ont droit à une pause quotidienne minimale de 11 heures consécutives entre deux journées de travail), le Code des Obligations (art. 328) protège la personnalité.  En outre, un projet de loi prévoit d'inscrire dans la Loi sur le travail un droit pour tous les travailleurs de ne pas être joignables pendant le repos quotidien et le dimanche et le Parti pirate zurichois a déposé une initiative demandant que soit garanti le droit de vivre et d’avoir accès à toutes les prestations correspondant à des droits, sans outil digital.


Ces bases constitutionnelles et légales, fédérales et cantonales, sont-elles suffisantes ? Certes non : L'enjeu est de faire des outils numériques des outils de la démocratie et de l'accès aux services publics, sans en faire des passages obligés, des instruments exclusifs, d'en faire des outils parmi d'autres, d'user du numérique tout en permettant de s'en passer, d'en user sans s'y assujettir. Un ordinateur, une tablette, un smartphone doivent, dans les relations de travail, être considérés comme des machines, dont on se sert pendant les heures de travail et qu'on abandonne comme elles à la fin de son temps journalier de travail, pendant les jours de congé, pendant les vacances.  Nul ne doit être contraint au télétravail sauf exceptions listées comme telles; il doit pouvoir rester un choix et s'exercer dans le respect du droit du travail et des prestations sociales et salariales qui lui sont liées. 


Pour nous qui agissons et proposons à Genève, c'est à Genève qu'il nous faut agir pour que soit garanti un droit à la déconnexion, tel que des lois récentes le garantissent notamment en Belgique, en France et en Australie. Après tout, les collectivités publiques ayant bien reconnu le droit à des lieux sans fumée et des rues sans voiture, elles peuvent aussi reconnaître le droit à du temps libre d'algorithmes, et donc le droit pour les travailleurs et les travailleuses de ne pas être connecté aux outils numériques professionnels (GSM, smartphone, PC, e-mail, etc.) en dehors de leurs horaires de travail et de voir garanti le respect de leurs périodes de repos, de congé et de leur vie privée et familiale. C'est tout le sens de la proposition que nous avions faite au Conseil municipal (sous la forme d'une motion) du temps où nous y sévissions, et que le Conseil a renvoyé pour étude en commission: que l'employeur du personnel municipal, c'est-à-dire le Conseil administratif, négocie avec les représentants de ce personnel, un véritable droit à la déconnexion. La Ville de Genève, comme commune, peut garantir un tel droit à son propre personnel -elle ne peut d'ailleurs que le lui garantir à lui (même si elle pourrait aussi le garantir aux Conseillères municipales et aux Conseillers municipaux). Elle pourrait également le poser comme un principe dans les conventions de subventionnement qu'elle passe, notamment avec des acteurs culturels, et une condition de ces conventions. 


Nous proposions donc par une motion au Conseil municipal de demander au Conseil administratif (une motion ne peut le lui imposer, elle ne peut exiger de lui qu'il donne une réponse à la proposition) de négocier avec les représentants du personnel et les syndicats l'insertion dans le Statut du personnel de la Ville de Genève d'un droit à la déconnexion; et de mettre en place les dispositifs utiles pour accorder à ce personnel et à celui des entités subventionnées et conventionnées le droit de ne pas être contraint, sauf exceptions listées et justifiées, par exemple par des missions spécifiques d'urgence, à l'utilisation des outils numériques en dehors des heures de travail hebdomadaires et des lieux de travail en tant qu'ils sont distincts des lieux de vie privée.

Garantir les pauses quotidiennes et hebdomadaires, prévenir le burn-out, alléger la  pression liée à une disponibilité permanente, respecter un équilibre entre les vies professionnelle et privée et une séparation nette entre les sphères professionnelle et privée : après tout, il ne s'agirait que de respecter la volonté, ou la prétention, de la Ville de Genève, d'être un employeur exemplaire...






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