184'000 signatures en deux semaines pour rendre les multinationales responsables de leurs acte !

Un peu plus de quatre ans après qu'une première initiative pour rendre les multinationales établies en Suisse responsables de leurs actes ait été repoussée par la majorité des cantons alors qu'elle avait obtenu la majorité des votes du  peuple, la coalition pour des multinationales responsables a relancé et fait aboutir dans des délais record une initiative, "afin d'augmenter significativement la pression sur les milieux politiques suisses" pour qu'ils accouchent d'une loi nationale qui inscrirait la Suisse dans la cohérence avec les lois en vigueur dans les pays voisins, et avec une directive européenne. En seulement 14 jours, un nombre inimaginable de 183 661 signatures ont été récoltées à l'appui de la deuxième initiative pour des multinationales responsables de leurs actes. C'est sans doute la première fois qu'une initiative populaire fédérale aboutit en deux semaines. Alors, on applaudit. Et si vous n'avez pas gardé ceux de la précédente votation sur ce même thème (le peuple avait majoritairement soutenu la première initiative, mais comme la majorité des cantons l'avait refusée, elle a été considérée comme refusée), n'hésitez pas à commander gratuitement un drapeau ou un triangle de vélo (même si vous avez un vélo électrique) : www.responsabilite-multinationales.ch/materiel/


"Rendre responsable", décidément, c'est bien le mot qui convient

En mai 2024, l'Union Européenne adoptait une directive sur la responsabilité des multinationales. Elle s'applique à tous les pays membres de l'UE : elle oblige les pays membres de l'UE à introduire d'ici l'année prochaine des lois imposant aux multinationales qui y sont établies de rendre compte de leur respect ou de leur irrespect des droits humains et des normes environnementales dans leurs activités et à réduire leurs émissions nocives au climat. Des lois nationales sur la responsabilité des multinationales sont d'ailleurs en vigueur, ou des procédures judiciaires nationale en cours, en France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Pays-Bas et Norvège. Il y a cinq ans, la Suisse se prononçait sur une initiative populaire allant dans le même sens que les lois nationales ou la directive que ses voisins ont adoptées. Le peuple avait accepté l'initiative, mais une majorité des cantons l'avaient refusée. L'un des arguments avancés par les multinationales, le Conseil fédéral et les partis de droite pour inciter à la refuser était que la Suisse ne pouvait pas se permettre de faire "cavalier seul" en adoptant des normes que ses voisins n'avaient pas adoptées. Or désormais, c'est la Suisse qui fait "cavalier seul" en n'adoptant pas les mêmes normes que tous ses voisins -et une vingtaine d'autres pays européens -ce qui fait d'elle une concurrente déloyale de ses voisins et partenaires européens. Et bien que la Suisse héberge de nombreuses entreprises internationales et qu’elle joue un rôle déterminant dans le commerce mondial de matières premières, la discussion sur leur responsabilité stagne.

Le Conseil fédéral, malgré sa promesse, n'a pas lancé de processus législatif pour une loi sur la responsabilité des multinationales mais s'est contenté de mettre en consultation une réformette cosmétique sur le reporting des grandes entreprises. Qui pourront continuer d'affirmer, sans preuve (et malgré le nombre et la lourdeur des preuves inverses), mais en couleurs sur blanc dans des brochures décoratives, qu'elles font tout ce qu'il faut pour ne nuire à personne. La Suisse est ainsi le dernier pays d'Europe (hors la Russie, la Biélorussie, l'Albanie et les Etats issue de l'ex-Yougoslavie) à laisser des multinationales établies chez elles polluer l'eau et l'air, détruire des cultures vivrières, appauvrir des populations autochtones, sans avoir aucun compte à rendre mais seulement des discours autojustificateurs à tenir. On lira ainsi de Lindt & Sprüngli qu'elle évite le travail des enfants "lorsque c'est possible". Mais bon, hein, si ce n'est pas possible, on fermera les yeux. On lira de Metalor l'affirmation que tous ses fournisseurs respectent les droits humains. Même ceux de ces fournisseurs qui gèrent des mines dans lesquelles des dizaines de travailleurs sont morts. Et on lira de Glencore qu'elle n'a relevé aucun cas de violation des droits humains ni aucun cas de pollution de l'environnement. Comme dans la mine péruvienne Antapaccay de Glencore ce qu'on ne veut pas relever ne sera pas relevé.

Les multinationales suisses, comme les autres, exploitent hommes, femmes et enfants, nature, et environnement, violent les droits fondamentaux, expulsent les peuples indigènes. Mais contrairement à leurs consoeurs européennes, elles n'ont as de comptes à rendre, et les majorités politiques gouvernementales de ce pays ne veulent pas qu'elles en rendent. Les initiants n'excluent pas de retirer leur texte si la loi qu'ils souhaitent était votée -ce à quoi évidemment les multinationales sont férocement opposées, et la majorité de la droite aussi, à leur suite et leur service. C'est à leur inactivisme, à leur cécité volontaire, à leur complicité même, que l'initiative répond. Et c'est une réponse souhaitée, selon un sondage de juin-juillet 2023, par 70 % de la population suisse.

Les multinationales développent leurs activités hors des limites de l'Etat où est implanté leur siège, mais dans cet Etat, elles sont soumises à ses lois. Il y a donc une double nécessité à laquelle répondre si on entent encadrer, si peu que ce soit, leur activité : celle d'un cadre national et celle d'un cadre aussi multinational qu'elles. Ce cadre international ce sont, formellement, les Etats qui le négocient entre eux. Nous disons ici "formellement", parce qu'on sait bien que les multinationales sont totalement impliquées dans ces négociations, et qu'elles y ont le pouvoir de peser sur les Etats, même les plus puissants : leurs chiffres d'affaires, leurs bénéfices, leurs profits dépassent de loin les ressources, et le nombre d'emplois dépendant d'elles le nombre d'habitants, de la plupart  des Etats. Pourtant, l'Union Européenne et nombre de ses Etats membres ont légiféré pour rendre les multinationales responsables de leurs actes. L'UE et ses Etats, pas la Suisse.

Mais si le législateur suisse ne veut pas faire son travail, il faut bien que le constituant suisse le fasse à sa place. C'est du populisme ? Oui, mais au sens strict, pas dans sa caricature tribale. Ce constituant qui fait le travail du législateur, c'est le peuple. D'où l'initiative qui vient d'aboutir.
"Rendre responsable", décidément, c'est bien le mot qui convient, quand ce sera au peuple de rendre l'Etat et les multinationales responsables de leurs actes.


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