Droits des locataires : Le droit de connaître ses droits

L'Office fédéral du logement (OFL)  a annoncé le 3 mars l'abaissement de 0,25 point du taux de référence applicable aux contrats de bail, qui passe donc de 1,75 à 1,5 %, ce qui donnerait droit à une baisse de 3 % des loyers (2 % si on tient compte de l'inflation et de la hausse des charges des bailleurs) des locataires dont les loyers avaient été augmentés en décembre 2023, de ceux qui ont signé un bail depuis cette date et de ceux qui n'ont jamais obtenu de baisse de leurs loyers, alors même que le taux de l'OFL n'avait cessé de baisser entre 2008 et 2023. Près de 30 % des locataires ont vu leur loyer augmenter depuis 2023. Les locataires ont donc, à certaines conditions, le droit de demander une baisse de leur loyer. Ils en ont aussi le droit lorsqu'ils sont victimes de nuisances. Encore faut-il qu'ils la demandent, cette baisse. Et donc qu'ils sachent qu'ils ont le droit de la demander. Car avant même les droits que l'on proclame, il y a deux droits préalables qu'il incombe à la société de faire respecter : le droit d'avoir des droits, et le droit de connaître ses droits. Ce sont ces deux droits qu'un projet de délibération déposé par les socialistes au Conseil municipal de Genève propose de contribuer à garantir, en finançant une consultation par les locataires de services experts en matière de droit du bail et de défense des locataires. Parce que si trop souvent les locataires ignorent leurs droits, les propriétaires et les bailleurs, eux, connaissent bien les leur. Et savent en user, voire en abuser. Et si propriétaire et bailleurs connaissent aussi les droits des locataires, ce n'est pas sur eux qu'il faut compter pour les en informer.  Alors que la Ville le fasse, après tout, cela ne serait qu'une manière de rétablir une sorte d'équilibre, entre les uns et les autres.

"le pouvoir des gérances immobilières est disproportionné, aujourd'hui, au regard des moyens de recours des locataire"

Les loyers n'ont cessé d'augmenter en Suisse depuis 2021 sur le "marché libre", du fait de la pénurie de logements, de la croissance démographique, du vieillissement de la population. Depuis 2005, ils ont augmenté de 25 % alors qu'ils auraient dû baisser avec le taux de référence. En moins de vingt ans, 78 milliards de francs (six milliards rien qu'en 2023...) sont passés ("illégitimement", précise l'Asloca) des poches de locataires (qui ont tous les mois payé en moyenne 360 francs de loyer en trop) aux comptes des bailleurs. En cinq ans, les loyers pour les logements offerts sur le marché ont augmenté de 10,7 % au plan national, de 12,8 % à Genève. En 2024, ils ont encore augmenté de 1,4 % à Genève -une hausse rendue mesurée grâce à de grands projets de construction qui ont fait passer le taux de logements vacants de 0,38 % en 2022 à 0,46 % en 2024, toujours largement en dessous du taux minimal de 0,75 % nécessaire pour détendre un peu le  marché... La société de conseil en immobilier Wuest Partner attend tout de même encore une hausse des loyers de 1,9 % au plan national, de 1,7 % dans l'arc lémanique. Il restera donc toujours très difficile, si on pense déménager, de trouver un nouveau logement au loyer de l'ancien -d'où une tendance marquée à rester dans des logements trop grands pour ne pas avoir à payer des loyers plus élevés, même pour des logements plus petits. En dix ans, les locataires genevois ont payé au moins 150 millions de loyer en plus chaque année.

La hausse des loyers est alimentée par leur augmentation à la conclusion de nouveaux baux. Une enquête de la RTS aboutit à la conclusion que 40 % des 20'000 logements analysés ayant changé d'occupant depuis 2015 ont vu leurs loyers augmenter d'un moins 20 %, et dans un cas sur cinq, de plus de 50 % (la hausse moyenne étant de 18,5 %)  L'association des locataires des immeubles du 24 avenue des Eaux-Vives a analysé l'évolution depuis les années '60 des loyers des 278 appartements (majoritairement des 4 pièces, cuisine comprise) de l'immeuble et de ceux du 26 avenue des Eaux-Vives et des 10 et 10bis chemin Frank-Thomas -des immeubles qui ont toujours appartenu au même propriétaire (Swiss Life). Le propriétaire a perçu 168 millions de francs de loyers depuis la fin des années '60, et 16 millions pour les parkings. Depuis 1970, chaque appartement a rapporté des loyers qui ont plus que triplé (de 1,5 à 5 millions), le loyer annuel moyen d'un trois pièces a augmenté de 50 % entre 2002 et 2022, les nouveaux baux signés au cours des dix dernières années prévoient des hausses de 100 %, et jusqu'à 123 %, par rapport aux anciens baux, et imposent aux locataires des frais que les anciens locataires n'avaient pas à payer (entretien des ascenseurs, conciergerie, locaux communs).

Tout cela, qui pèse très lourd sur le budget des ménages, c'est la "loi de l'offre et de la demande", balaie d'un revers de bail la régisseuse (et députée PLR) Diane Barbier Mueller. Elle a bon dos, la "loi" de l'offre et de la demande, quand ceux qui maîtrisent l'offre de logements en loyers libres disposent d'un pouvoir exorbitant du pouvoir congru de ceux qui font la demande. Hier soir, à la télé romande, un locataire genevois  soupirait, dans "A Bon Entendeur" : "le pouvoir des gérances immobilières est disproportionné, aujourd'hui, au regard des moyens de recours des locataires. Et sachant que se loger est un besoin essentiel, le fait de s'aliéner une gérance immobilière peut avoir des répercussions assez coûteuses".

C'est à cela que, modestement, au niveau municipal d'une ville où les loyers sont parmi les plus élevés de Suisse, que veut répondre le projet soumis par Joëlle Bertossa et les socialistes au parlement de la Ville de Genève. A cela : même pas à donner aux locataires des droits nouveaux, mais à leur assurer le droit, qu'ont déjà propriétaires et bailleurs, de connaître leurs droits.

Un projet de gauche, donc...


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