Poste Tenebras ?

 

La mort lente d'un service public

Le 11 mars, le Conseil des Etats a refusé de suivre le Conseil national qui avait, lui, accepté la proposition d'un moratoire sur la transformation de La Poste, tant que les tâches de l'entreprise publique, en mains de la Confédération, n'auront pas été clarifiées par le Confédération (et non par l'entreprise toute seule). La Poste pourra donc supprimer 170 offices postaux, supprimer la distribution du courrier et des colis dans les villages, pouvoir le faire dans les maisons habitées à l'année et  affaiblir la ponctualité du service. Ces mesures font partie d'un plan de transformation, justifié par "les habitudes des clients" : le volume de lettres traitées en Suisse par la Poste diminue de 2,5 % par an, en moyenne, depuis 2002, soit de plus de 50 % en vingt ans ? Et alors ? On trouve désormais moins de dix lettres dans un tiers des boîtes aux lettres publiques (relevées au moins une fois par jour en semaine), et moins de vingt lettres dans la moitié d'entre elles ? Et alors ? ça justifie de transformer tous les usagers d'un service public en clients d'une entreprise fonctionnant comme une entreprise privée, avec la même obsession : la rentabilité ? Le syndicat Syndicom dénonçait début 2018 "l’appât du gain de La Poste", ses "attentes de profits exagérées, fixées non seulement par la direction de La Poste mais aussi par les politiques". Et pour le syndicat (comme pour nous), "il est fondamentalement absurde que les services publics soient censés générer des bénéfices de plusieurs millions", au prix de la fermeture d'offices postaux... mais aussi de tripatouillages du genre de ceux auxquels s'est livré CarPostal (filiale de La Poste), qui transférait vers d'autres secteurs des profits générés par le secteur subventionné... La Confédération, donc, laissera démanteler le réseau fiscal et fera la sourde oreille aux protestations des communes dont les offices postaux seront fermés, ou transformés en sous-locataires d'un commerce privés, et à celles des personnes à qui lettres et colis ne seront tout simplement plus distribués : "certaines régions se transformeront en désert postal", prédit le syndic d'Ursy et député socialiste au Grand Conseil fribourgeois Philippe Dubey. Poste Tenebras.

Qui va encore à la Poste ? Des vieux, des pauvres, des ploucs. Des moins que rien.

En mai de l'année dernière, La Poste annonçait sa volonté, pour ne pas dire sa décision (comme si un service public particulier pouvait à lui seul décider ce qu'était le service public en général), annonçait vouloir condamner un office postal sur cinq dans le pays. Le président de La Poste, Christian Levrat, dont il se murmure qu'il fut naguère président d'un parti de gauche, et que deux Conseillers aux Etats socialistes ont accusé d'avoir retourné sa veste et de dire aujourd'hui le contraire de ce qu'il disait quand il président le PS, expliquait que  "les besoins de la population et de l'économie évoluent. Les offre de La Poste doivent suivre cette évolution dans un monde où le numérique joue un rôle toujours plus important". La Poste a donc décidé de "stabiliser" le nombre d'offices autour de 800, "parce qu'ils répondent à un besoin de proximité". Pas les autres, ceux qui vont être supprimés ?

Comment évalue-t-on l'efficacité d'un service public, c'est-à-dire sa capacité à remplir son rôle, à accorder à son public les services qu'il attend d'eux ? Par comparaison avec d'autres pays (s'il s'agit de services publics nationaux, comme La Poste ou les CFF)  ou par comparaison à ce qu'étaient ces services "avant" ? Et avant quoi ? avant quand ?  Les PTT et les CFF, plus tard la SSR, étaient devenus des symboles du lien confédéral. Il est vrai que Migros et Coop aussi... 

Postcom, l'autorité de surveillance de La Poste, voulait que le service public puisse continuer de proposer des "solutions alternatives" à la distribution dans des régions à l'habitat dispersé (les "grandes" villes ne sont donc pas concernées), alors que le Tribunal administratif fédéral avait considéré qu'il n'était pas de la compétence de Postcom de se mêler de la distribution du courrier à domicile que la loi impose comme une obligation dans les régions à relativement forte densité de population (les villes, les grands villages) , ce qui a pour conséquence que des milliers de personnes, habitant dans près de 1300 maisons, n'en bénéficient pas et que la Poste est libre de continuer à faire ce qu'elle fait depuis des années  : depuis 2001, 82 % des offices postaux on tété fermés ou transformés  en agence postale logée dans un commerce privé.  L'important, n'est-ce pas que le Suisse moyen, s'il existe, continue à être persuadé qu'il a les meilleurs services publics au monde,  répondront les brillants gestionnaires d'un ancien service public devenu conforme aux lois du marché  : "ces gens vivent dans un monde parallèle, celui du management", soupire le président de l'Union Syndicale et Conseiller aux Etats Pierre-Yves Maillard...

Mais qui va encore à la Poste ? Des vieux, des pauvres, des ploucs. Des moins que rien.

Comme nous, et comme les 17'000 personnes qui avaient signé une pétition demandant à La Poste de renoncer à se suicider comme service public accessible à tout le public.

 





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