Un enjeu majeur des élections municipales : l'aménagement

Urbs+Demos=Civitas

Dans deux semaines, on saura à quoi ressembleront, politiquement, les institutions municipales genevoises (pour certaines, d'ailleurs, on le sait déjà). Et d'entre elles, celles de la ville de Genève au sens de la ville politique, celle qui est le centre d'une ville physique formée, autour d'elle de treize communes urbaines contiguës, une ville physique qui concentre la majorité de la population du canton, la ville politique concentrant elle-même la majorité de la population, des emplois, des services de cette ville physique, dont la superficie et la population équivalent grosso modo, à celles de la Ville de Zurich comme commune. Et si la commune de Genève est plus petite et moins peuplée (mais plus dense) que la commune de Zurich, c'est que les communes urbaines autour d'elle n'ont pas fusionné avec elle, contrairement à ce qui s'est fait à Zurich, en 1893 déjà. A Genève, on s'est contenté de fusionner en 1930 la commune de Genève avec celles du Petit-Saconnex, de Plainpalais et des Eaux-Vives. Et on en est resté là. Mais parce que la population n'a cessé de croître, la ville physique, elle, a continué de s'agrandir (sur territoire genevois, vaudois, français...), et là où elle ne pouvait pas s'agrandir, de se densifier. L'un des enjeux des cinq ans de "législatures" municipales est là : dans l'aménagement démocratique de la Ville et des villes. Pour faire pédant, on proposera donc cette équation greco-latine pour un urbanisme démocratique : Urbs+Demos=Civitas. La ville plus le peuple égale la Cité.


"La ville à celles et ceux qui y habitent"...

Le Conseil municipal de Genève a adopté en février, majorité de gauche contre minorité de droite, le plan directeur communal 2025-2040. Objectif : construire 10'000 logements pour accueillir 40'000 nouvelles habitantes et nouveaux habitants. Mais aussi, installer les aménagements et les équipements nécessaires à cette nouvelle population (et à l'ancienne). Et promouvoir "la ville des cinq minutes" : à cinq minutes à pied, vélo ou transports publics de leur logement, les habitantes et les habitantes doivent trouver tout ce dont ils ont besoin : commerces, services, espaces de détentes, verdure. C'est cela, "construire la ville en ville", et pouvoir "bien vivre en ville" : c'est acquérir des terrains (comme, exemple pris évidemment au hasard, la Campagne Masset), faire un usage systématique du droit de préemption, (par exemple sur la Campagne Masset) construire les équipements publics nécessaires :  des crèches, des écoles, des infrastructures culturelles (et même sportives), végétaliser dans la durée sans se contenter d'une micro-forêt primaire sur un talus ou d'un arbuste dans un pot sur un balcon  Et tout cela sera plus difficile avec une étroite majorité de droite (en y incluant le Centre les Verts libéraux) qu'avec une large majorité de gauche. Surtout quand il s'agira de conquérir de nouvelles compétences municipales en matière d'aménagement et d'urbanisme.

A Genève, où on ne peut  plus toucher la zone naturelle ni la zone agricole, mais où il reste la zone villa, qui à elle seule correspond à la moitié de toute la zone bâtissable. les projets de nouveaux quartiers sont confrontés à deux types d'oppositions, contradictoires, mais qui, s'additionnant, font souvent majorité : une opposition foncièrement de droite, malthusienne, conservatrice, sacralisant les zones villas, rétive au logement social, et une opposition plutôt de gauche, défendant, elle, une qualité de vie urbaine et une mixité sociale ne se traduisant pas par une "surdensification" et un "surbétonnage"...

La ville, c'est le lieu du pouvoir -mais aussi celui des contre-pouvoirs, de l'opposition au pouvoir, de sa négation. Elle est certes, comme le résume l'archéologue Jean Guilaine, "un concentré de pouvoirs", "la tête d'où partent les décisions, les règles, les lois", mais elle est aussi un concentré de révoltes, la "tête d'où partent" les révolutions, l'espace où se dressent les barricades et où s'installent les Cours des Miracles. C'est en ville qu'agissent les gouvernants, même quand ils habitent ailleurs, mais c'est en ville qu'agissent aussi les oppositions, les régicides, les truands et les terroristes. La ville concentre tout : les gestions et les crises, les servitudes et les libertés. Et toutes les activités -même, désormais, un peu d'agriculture dans des jardins urbains.  Et donc, tous les enjeux. Qui renvoient tous, au bout du compte, des comptes et des mécomptes, à celui de l'aménagement de la ville et de la Ville, de l'espace public urbain -en un mot, de l'urbanisme et de l'organisation du contrôle des comportements individuels et collectifs.

L'espace public, c'est l'espace qui différencie autant qu'il relie la société civile et l'Etat, les citoyens et le pouvoir politique. Il doit être accessible à tous les citoyens, ils doivent pouvoir s'y assembler, y former l'"opinion publique". Dès lors, la qualité de l'espace public est liée à la qualité de la démocratie locale. L'enjeu serait assez simple à poser, à en croire l'architecte Laurent de Wurstemberger : "proposer des lieux où les gens se sentent bien"... "Des lieux", pas seulement des logements : des rues, des places, des quartiers, des espaces verts... et des "espaces de transition" entre la ville et l'habitat, l'espace public urbain et l'espace privé domestique, le bruit de la ville et le calme du logement (quand il le permet -et il faut qu'il puisse le permettre). Et il en va de même de l'espace public de proximité  là, il s'agit bien d'une reconquête de la ville par ses habitants, d'une requalification de l'espace public, de revalorisation des rues, des places, des cours, des parkings de surface.  L'Organisation mondiale de la santé recommande une douzaine de mètres carrés d'espaces verts de proximité par habitant en ville. Or combien d'arbres doivent-ils être abattus pour permettre la construction d'un parking souterrain -sur lequel, en surface, on ne pourra plus en replanter aucun (seulement placer des arbustes en bacs) ?


Peut-on conjuguer urbanisme et démocratie -du moins, ambitions urbanistiques et procédures démocratiques ? L'histoire suggérerait que non, et l'actualité ne la dément que faiblement : derrière, au-dessus des grandes réalisations urbanistiques, il y a souvent un pouvoir politique pour le moins autoritaire : Versailles naît de la volonté de Louis XIV, St-Petersbourg de celle de Pierre le Grand, le Paris de Haussmann de celle de Napoléon III. Mais, contre-exemple, le Lignon (prix du patrimoine culturel Europa Nostra) des autorités genevoises des années cinquante et soixante.

Nous avons, en fin de la "législature" municipale, fait décider par le Conseil municipal de lancer un projet pilote d'assemblées citoyennes. Rien de plus socialiste, au fond : on disait naguère "l'usine à ceux qui y travaillent, la terre à ceux qui la travaillent" ? on y ajoute "celles", et "la ville à celles et ceux qui y habitent"... Toutes celles et tous ceux, c'est du populisme ? oui, c'est du populisme, mais du vrai. Du populisme des origines -qui sont aussi celles du socialisme révolutionnaire.



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