Les F-35 "suisses", ou comment s'en débarrasser ?
Crash Test
Selon plusieurs sondages de ce printemps, une
large (voire écrasante) majorité des Suisses et Suissesses se
prononceraient contre l'achat, décidé en 2022 par le Conseil
fédéral, des avions de combat américains F-35, préférés aux
avions européens Rafale et Eurofighters, au terme d'une
procédure d'évaluation opaque et contestée. Dans un sondage
Tamedia de fin mars (avant l'offensive douanière de Trump), 66 %
des personnes interrogées (et une majorité de tous les
électorats, y compris celui de l'UDC) s'opposent à l'achat des
F-35 (81 % dans un sondage de Demoscope à la même époque) et 77
% à une coopération sécuritaire plus étroite avec l'Union
Européenne -et là encore, même les udécistes, traditionnellement
europhobe, sont favorables (à 52 %) à une telle coopération. 71
% des sondés de Tamedia sont mêmes favorables à une
collaboration renforcée avec l'OTA, mais une majorité de 56 %
reste opposée à une adhésion à l'Alliance "occidentale". Par
ailleurs, les deux tiers des sondés soutiennent l'augmentation
des dépenses militaires. Le Comité d'initiative contre l'achat
des F-35 ayant retiré son initiative pour
éviter qu'elle serve à "justifier les actions trompeuses et
antidémocratiques du Conseil fédéral" le
peuple, qui s'est certes prononcé favorablement à l'achat d'un
nouvel avion de combat, mais pas sur le choix du F-35), ne se
prononcera pas sur cet achat, lors même que les sondages l'y
disent très majoritairement opposé. Une pétition lancée par les
Verts et le Groupe pour une Suisse sans armée demandant d'y
renoncer à tout de même recueilli plus de 10'000 signatures, et
au Grand Conseil de Genève, une résolution a été déposée
demandant aux Chambres fédérales d'annuler la commande des 36
avions F-35. C'est une première bonne nouvelle. Et la seconde
bonne nouvelle, c'est que cette résolution, évidemment soutenue
par la gauche (PS et Verts), opposée à cet achat, l'est aussi
par le Centre. Le parti du Conseiller fédéral à la tête du
Département de la Défense...
"La droite du parlement veut acheter un F-35 avec Donald Trump dans le cockpit"
Dans la "Tribune de Genève" le député centriste
genevois Jean-Marc Guinchard observe, avec quelque incrédulité,
que "les mêmes qui ont applaudi l'élection de Trump et aiment
dénoncer le "colonialisme européen en appellent maintenant à
plier devant la puissance américaine". La présidente de Verts,
Lisa Mazzone, résume : "La droite du parlement veut acheter un
F-35 avec Donald Trump dans le cockpit". Et ce n'est pas qu'une
(heureuse) image : le F-35 doit se connecter à un serveur
américain pour le traitement de ses données opérationnelles...
autrement dit, chaque usage de cet avion sera contrôlé, et
pourra être entravé, par les Etats-Unis. Qui, sous Trump (et
probablement aussi sous ses successeurs s'ils sont ceux de sa
tribu), n'ont plus rien d'un partenaire fiable. Même aux USA,
d'ailleurs, le F-35 fait polémique : devenu comme une sorte de
Premier ministre de Donald Trump, Elon Musk veut arrêter le
programme des F-35, dont il dénonce le "pire rapport
qualité-prix militaire de l'histoire", ajoutant que les avions
de combat sont "obsolètes à l'ère des drones" : il veut non seulement envoyer l'espèce humaine sur
Mars, mais aussi les F-35 à la poubelle. Message transmis à ceux
de ses fans suisses qui soutiennent l'achat de ces avions de
combat «obsolètes», puisqu'à Berne, on
assure qu'il n'y a "pas d'alternative" aux avions de combat pour
assurer la police aérienne. Et plus d'alternative aux F-35.
Pourtant, le Canada, qui avait aussi décidé d'acheter des F-35,
envisage sérieusement d'y renoncer, alors même qu'il a déjà
dépensé 19 milliards de ses dollars (4 milliards de francs
suisses) pour cet achat. Et si en Suisse c'est la gauche qui
demande d'y renoncer, au Canada, c'est un Premier ministre de
droite qui l'envisage...
Or la Suisse
(en fait, la majorité du Conseil fédéral, et Armasuisse) a
décidé de l'achat du F-35 au terme d'un processus d'évaluation
assez particulier, conçue pour l'avantager par rapport à ses
concurrents, en particulier le "Rafale" français : les heures
de vol du F-35 ont été réduites de 20 % et remplacées par des
heures de simulation (d'où un avantage de deux milliards de
francs pour le F-35), l'évaluation s'est basée sur 79 critères
secrets, même pour les soumissionnaires, évalués par des
"spécialistes" qui ont réservé leurs conclusions à
Armasuisse, comparaisons faites entre les avions concurrents
faites dans l'opacité et la subjectivité à quoi se sont
ajoutées des interventions de l'Office fédéral de la Justice,
qui a imposé au Conseil fédéral l'achat d'un avion auquel
s'opposaient au moins deux Conseillers fédéraux (Maurer et
Cassis), voire quatre si on y ajoute les deux socialistes,
préférant un avion européen. Il aura fallu que deux
journalistes, l'un de Tamedia l'autre de la radiotélé
alémanique SRF aillent jusqu'au Tribunal fédéral pour qu'on
puisse en savoir plus : Armasuisse et le Laboratoire d'essai
des matériaux refusaient de leur transmettre les mesures du
bruit des F-35, des Rafale et des Eurofighters et les rapports
sur les mesures (méthodes, critères, pondération) d'évaluation
des trois avions, en arguant d'exceptions au principe de la
transparence dans les marchés publics, exceptions pour les
acquisitions d'armes, de munitions et de matériel de guerre.
Or le Tribunal fédéral a récusé cette argumentation, fondée
sur une loi caduque depuis le 1er janvier 2021.
En réalité, l'achat de F-35 par la
Suisse ne s'est pas fait pour des raisons liées à ses qualités
supposées (et supposément vérifiées), mais parce qu'il
assurait une "interopérabilité" totale avec l'OTAN (et surtout
les USA) sans que la Suisse ait besoin d'en faire partie -elle
a bien passé avec l'OTAN un "Partenariat pour la paix", mais
en restant indépendante de l'organisation politico-militaire
du "camp occidental", cette indépendance n'étant explicitement
remise en cause que par quelques personnalités de droite, qui
militent carrément pour une adhésion de a Suisse à l'OTAN.
"Le F-35A n'est pas un avion pour
la Suisse, mais pour l'OTAN", résume le Conseiller national
jurassien et socialiste Pierre-Alain Fridez : cet avion furtif
conçu pour des attaques en profondeur sur territoire ennemi
"n'est pas l'avion pour des missions de police de protection
et de défense du ciel dont la Suisse a réellement besoin" : il
est lent au décollage, à l'ascension et à l'accélération, est
toujours en développement, doit encore changer de moteur,
n'est pas prêt pour une production en série. Et c'est l'avion
le plus cher du monde. Le Conseil fédéral estime que les coûts
de son exploitation se monteront à 15,5 milliards sur trente
ans, alors qu'ils pourraient en fait atteindre 23 milliards.
La décision de choisir cet avion plutôt que les européens
Rafale ou Eurofighter fut donc une erreur. Une erreur
réparable ? Sans doute. Une réparation coûteuse ? Sans doute,
aussi, mais, estime le centriste
Jean-Marc Guinchard, qui plaide pour le renoncement à l'achat
des F-35, "il vaut mieux perdre quelques millions aujourd'hui"
(ceux déjà dépensés pour pouvoir acheter cette casserole de
luxe) que "plusieurs milliards demain" pour l'achat de l'avion
de combat le plus cher de l'histoire (400'000 francs l'heure de
vol), dont un rapport du
"Government Accountability Office" américain (une sorte de
Cour des Comptes), remis au Congrès, détaille les faiblesses,
notamment celles affectant la fiabilité du moteur et la
production des pièces de rechange. Et note que près de la
moitié des appareils dont dispose l'armée de l'air (US Air
Force) sont le plus souvent cloués au sol pour raisons
techniques ou mécaniques. Peu importe à la septantaine de petites, moyennes et grandes entreprises
romandes fournissant des composants au secteur aéronautique
civil et militaire et qui lorgnent sur les contrats
compensatoires de l'achat du F-35 (2,9 milliards de francs
devraient revenir aux entreprises suisses, dont 30 % aux
romandes). Sauf que les négociations sur ces contrats se feront
directement entre entreprises suisses et américaines, mais que
les transactions devront être avalisées par Armasuisse.
Combien coûterait l'abandon des F-35 ? On ne sait
pas au juste. Ce qu'on sait, c'est que la Suisse a déjà dépensé
700 millions pour leur achat, alors que leur production ne
démarrera pas avant 2026, et la livraison des premiers avions
avant 2027.
Et il n'y a pas que les F-35 qui sont à l'agenda
militaro-financier suisse : les achats programmés de notre
glorieuse armée se montent à 1,7 milliard de francs. On y trouve
de tout : des obusiers de 155mm, blindés et montés sur roues
(une trentaine, pour 850 millions), des obus guidables à 100'000
balles la pièce, des nanodrones (des petits trucs de 70 grammes)
pour 30 millions, des radars passifs pour 80 millions et des
crédits informatiques pour 250 millions. Et toutes ces dépenses
s'ajoutent à celle de l'achat des F-35... et de drones
israéliens (pour 250 millions) qui devaient être mis en service
en 2020 pour surveiller la frontière, mais qui ne le seront pas
avant 2029, parce qu'ils n'ont pas été dotés (par l'entreprise
publique suisse RUAG) d'un système d'évitement automatique, que
leur coût va doubler et que les deux drones dont l'armée dispose
déjà, elle a décidé de ne plus les faire voler, mais qu'elle
doit continuer à les entretenir... et à payer pour cela.
Et c'est alors qu'on se souvient, tout soudain, qu'au programme du Parti socialiste suisse, il y a toujours (c'était une proposition de la Jeunesse socialiste, que le Congrès de Lausanne, en 2020, avait acceptée)... l'abolition de l'armée...



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