Quand l'obsession arctique de Trump se heurte au peuple arctique

Le Groenland n'est pas l'Alaska

Vendredi dernier, le commis-voyageur de Trump (son vice-président, J.-D. Vance) accompagnait son épouse dans une visite au Groenland, où il n'était pas invité, et où il a dû se contenter de baguenauder dans la base américaine de Pittufik (naguère Thulé) pour défendre la lubie annexionniste de son chef. Une visite tout de même qualifiée par le Premier ministre groenlandais Múte Egede pour ce qu'elle était, une "provocation", et par la Première ministre danoise (puisque le Groenland, quoique autonome, reste sous souveraineté étatique danoise) d'"inacceptable". Cela fait depuis janvier que Trump et son gang déclarent vouloir mettre la patte sur la plus grande île du monde (après l'Australie, tout de même). En plus de la mettre sur le canal de Panama, voire même sur le Canada. Seul problème : à défaut d'être indépendant, le Groenland est déjà autogouverné. Et les autorités groenlandaise, celles encore en poste après les élections législatives du 11 mars comme celles négociant la formation d'une coalition, ont dit à Vance qu'il n'était pas le bienvenu et que le Groenland n'est pas l'Alaska. Et qu'il n'est aujourd'hui menacé ni par la Chine, ni par la Russie (ni par le Danemark) -mais seulement par les USA. Qui, eux, ne sont sans doute menacés que par leur président.

Ce qui intéresse Trump, ce sont les terres rares, pas les peuples rares

Dans son imbécilité brutale, la justification trumpiste de sa volonté de prise de contrôle du Groenland a au moins le mérite de la franchise : on se passe des réécritures poutiniennes de l'histoire et de la réalité (l'Ukraine, c'est la Russie, et le pouvoir installé à Kiev est nazi), on se contente de dire que le Groenland, "on en a besoin" -ou envie, ce qui, de là où ça tombe, revient au même. Il n'y a à la volonté de mettre la main sur le Groenland que le besoin, ou l'envie, qu'on en a : "nous en avons besoin, il nous le faut". L'histoire n'a aucune importance, la géographie non plus, le droit international encore moins. Les terres rares, par contre...

Le Groenland est plus proche du Canada et de l'Islande que des USA, et a été "découvert" par des Européens (vikings, en l'occurrence) en 982, 500 ans avant que Christophe Colomb "découvre" l'Amérique... Et ça faisait déjà 3500 ans que les inuits s'y étaient installés... Tant qu'à ce qu'il soit annexé par un autre Etat que le Danemark, le plus logique serait donc qu'il le soit par le Canada (il est vrai que Trump voudrait bien l'annexer aussi) ou l'Islande... d'où est sans doute parti Erik Le Rouge pour le "découvrir" (avant de "découvrir" l'Amérique du nord...). 

On ne s'est jamais autant préoccupé du Groenland au Danemark -mais aussi dans le reste de l'Europe que depuis que les USA ont annoicél vouzloir se le goinfrer. Et le Groenland ne s'est jamais autant senti, et revendiqué, comme autre chose qu'une terre vierge et glacée -de moins en moins glacée, d'ailleurs : Le nom Groenland (Grœnland en norrois), signifiant "terre verte", le réchauffement climatique qui y sévit particulièrement (et dont les Inuits et les curs blancs sont les victimes...) pourrait bien faire de son nom sa réalité... Les visées groenlandaise de Trump agissent comme un révélateur : elles révèlent un peuple distinct à la fois des Danois et des Américains (sauf sans doute des Améridiens), et poussent à la mue de ce peuple en nation, revendiquant pour elle-même les droits qui sont reconnus à toutes les nations, à commencer par celui à l'autodétermination, et donc de la possibilité de l'indépendance. 

Et puis, les agitations trumpistes révèlent autre chose : l'histoire d'une colonisation, et du mépris colonial. La réalité du traitement des Inuits par le Danemark. Comme par exemple, la remémoration de l'arrachement systématique de leurs enfants après des tests (abandonnés au début de cette année) de "compétence de parentalité" conforme au modèle danois, social-démocrate et luthérien. Comme, aussi le racisme dont les Inuits sont confrontés au Danemark. Il y pourtant pire que la situation des Inuits du Groenland : celle des Inuits d'Alaska, une terre achetée par les Etats-Unis à la Russie sans aucune attention portée à ceux qui la peuplaient, sauf à les confronter à un véritable ethnocide social et culturel : quand les Inuits du Groenland portent leur regard sur la situation des Inuits d'Alaska, ils ne peuvent que constater que le moindre mal est danois, et le pire étasunien. Et que les Etats-Unis de Trump ne s'intéressent pas plus à eux que ceux d'Andrew Johnson aux peuples de l'Alaska quand en 1867 ils ont acheté ce territoire pour 7,2 millions de dollars (soit deux centimes l'hectare...) à la Russie. 

Ce qui intéresse Trump, Vance, Musk et leurs comparses, c'est le cobalt, le graphite, le tungstène,  l'anorthosite, l'or du Groenland -pas les Groenlandais. Les terres rares, pas les peuples rares.  Il n'y a que deux mines en activité aux Groenland -mais les Groenlandais ne veulent pas les multiplier. Ils savent que l'indépendance dont ils rêvent aura besoin de ressources, mais ils ne veulent pas détruire leur environnement. Trump, lui, s'en fout, de leur environnement.

En 1955, Jean Malaurie publiait "Les derniers rois de Thulé",  sous-titré "avec les Esquimaux polaires, face à leur destin". Avec ces mots comme conclusion : "Les chasseurs de la protohistoire tels que je les ai connus dans une majesté à jamais perdue, sont vivants au plus profond de ma conscience. Ils demeurent pour moi les "Derniers" Rois de Thulé, mais je ne ne cesserai de croire que les valeurs d'exception de ces hommes ainsi entrés dans la légende auront assez de pouvoir pour inspirer les Inuit de l'an 2000". Et ceux de l'an 2025 et des années à venir.

Car le destin du Groenland est bien aux mains des héritiers de ces "chasseurs de la protohistoire", pas en celles d'un potentat de la préhistoire.


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