Trumpisme : Etat des choses après trois mois erratiques
Un patchwork de conneries
Un peu plus de trois
mois après le retour de Trump à la Maison Blanche, on peut commencer à faire un premier bilan de ses
actes et de ceux de son administration. Un bilan sans grand
contraste, sinon celui que peut produire l'addition du
complotisme, du climato-négationnisme, de l'obsession
épuratrice, du fétichisme douanier, de la xénophobie, du
racisme, du masculinisme. Un patchwork de conneries, en somme
-mais le ridicule, dans le monde de Trump et de son fan club, ne
tue pas. Lors de la première présidence de Donald, se souvient
l'écrivain Colum McCann, "l'administration Trump avait un aspect
divertissant, burlesque. Vous sortiez de votre lit pour voir
quelle allait être la nouvelle ânerie du jour. Aujourd'hui, vous
sortez de votre lit et vous vous retrouvez face à une nouvelle
horreur". Résumons-on donc quelques unes
-la liste exhaustive en serait interminable. Et n'oublions pas
que, comme le dit aussi Colum McCann, "ils ne s'agit pas
seulement de Trump" mais aussi de tous ceux qui (et pas
seulement aux USA) le suivent, le soutienne, l'adulent -ou s'y
résignent.
Le trumpisme, est-il
la nouvelle forme du fascisme ? L'observateur normand
répondra : "non" et "oui".
Il ressemble à quoi, le premier trimestre de présidence Trump ? A une succession de décisions erratiques et de discours infantiles, à une absence absolue de conviction et une incompétence à peu près générale. Mais peu importe. Ce qui importe, c'est d'être au pouvoir et de s'y croire maître du monde. Et d'avoir réponse à tout. Peu importe la réponse : la plus stupide vaut la plus intelligente -sauf que la plus intelligente est plus difficile à faire comprendre, et que la connerie a toujours l'avantage de la simplicité. La brutalité aussi, d'ailleurs.
Le trumpisme, est-il la nouvelle forme du fascisme ? L'observateur normand répondra : "non, pas vraiment" et "oui, peu-être". ça repose sur quoi, le fascisme ? Une idéologie, un parti de masse, une milice, un chef. Et des alliances. Et des méthodes.
Une idéologie ?
Trump n'en a guère. (l'égocentrisme n'est pas une idéologie)
Et puis, le fascisme est une idéologie européenne, et un
mouvement originellement européen et le restant
essentiellement. Or Trump déteste, et méprise, l'Europe, et
tout ce dont les USA héritent.
Un parti de masse ? L'époque n'est plus guère aux partis de masse, mais Trump a caporalisé le parti républicain, au sein duquel plus aucune opposition à lui, sa politique ou son comportement n'ose se manifester.
Une milice ?
l'assaut du Capitole après la défaite de Trump au terme de
son premier mandat, fut l'oeuvre d'une addition de petits
groupes pouvant parfaitement, comme on l'a vu, faire office
de milice.
Un chef ? Certes,
Trump n'est pas Hitler, ni Mussolini, ni Franco, ni Salazar.
Il n'est pas aussi cinglé que le premier -et loin d'être
aussi cultivé que les trois autres. Mais lui se veut chef,
et se prend pour un chef. Et cela suffit pour qu'il soit
nuisible. Y compris à son propre pays.
Des alliances ? Aux
USA, Trump bénéficie du soutien des chrétiens intégristes
d'un côté, des geeks de la Siliconne Vallée et des GAFA de
l'autre. Et ailleurs, notamment en Europe, des
extrême-droites. Et de Netanyahou. Et d'Orban. Et de Meloni.
Des méthodes ? S'abstraire de la démocratie, de ses règles, de ses procédures, de l'Etat de droit, du droit international. Purger les administrations. Désigner un bouc-émissaire (ou plusieurs). S'attaquer aux universités, aux institutions culturelles, à la langue et aux mots. Et à la mémoire. Et ces méthodes sont celles de Trump.
"Ce serait
tellement plus confortable si quelqu'un s'avançait sur la
scène du monde pour dire "je veux rouvrir Auschwitz, je
veux que les chemises brunes noires reviennent parader
dans les rues italiennes. Hélas, la vie n'est pas aussi
simple" (Umberto Eco, "Reconnaître le
fascisme"). Alors, en attendant de
pouvoir répondre plus catégoriquement à la question "le
trumpisme est-il une nouvelle forme du fascisme", faisons un
petit état des lieux :
D'abord, on peuple
l'Etat de créatures auxquelles on ne demande aucune
compétence, mais seulement une allégeance. A la tête du FBI,
Trump a nommé un complotiste poutinophile, Kash Pateil. A la tête de
la direction du Renseignement national, une autre
poutinophile, Tulsi Gabbard. Un copain de Musk a pris la
tête de la Commission fédérale des communications. On
verrouille, on verrouille. Et en même temps, on démantèle
les instruments utiles pour lutter contre les campagnes
russes de désinformation. Des milliers d'employés de radio
Voice of America, Radio Free Europe et Radio Free Asia sont
licenciés, les contrats passés avec les agences de presse
Reuters, Associated Press et France-Presse sont annulés par
la nouvelle patronne de Voice of America, une ancienne
présentatrice d'une filiale de la trumpiste Fox News.
Ensuite, on efface
l'histoire. Au passage, Trump, qui avait réussi à éviter le
Vietnam en se faisant réformer pour une excroissance osseuse
au pied, a lancé une purge du Ministère des Anciens
Combattants : sur les 470'000 anciens combattants qu'il
emploie comme contractuels dans les hôpitaux militaires, des
oeuvres sociales ou des programmes de soutien psychologique,
70'000 ont été invités à démissionner. Le général Charles
Brown, chef d'état major, a été limogé pour avoir témoigné
de son expérience de pilote de chasse noir, et l'amirale
Lisa Franchetti pour avoir été la première femme à avoir été
à la tête de la marine militaire. Et une centaine de
milliers de photos d'archives ont été retirées des sites
officiels -dont celles des premiers aviateurs noirs pendant
la Guerre Mondiale. Rien que de très normal, dans ces
épurations mémorielles : qui a lu George Orwell sait en
quelle mépris teinté de crainte les pouvoirs les plus
absurdes craignent la mémoire du passé, et de quelle
obstination ils peuvent faire preuve pour l'effacer.
Le trumpisme parfait
son image en satisfaisant les parts les plus obscurantistes
de la société. L'administration a décidé de cesser de financer
l'alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation,
GAVI, sise à Genève comme l'OMS (dont les USA se sont
retirés), dont le but est de permettre aux enfants les plus
pauvres d'avoir accès à la vaccination. Motif du retrait du
financement étasunien, qui prive Gavi de 13 % de son budget
: "les programmes de Gavi sont incompatibles avec les
priorités politiques" de l'administration et avec "l'intérêt
national" tel qu'elle le définit. 17 millions d'enfants ont
été sauvés en 25 ans grâce à Gavi, et le retrait étasunien
aura pour conséquence (à moins que d'autres pays -par
exemple la Chine- ne le compensent) que 75 millions
d'enfants ne pourront plus être vaccinés. Quant au ministre
de la Santé, Robert F. Kennedy junior, antivax qui raconte
qu'un ver lui a mangé une partie du cerveau (ce qui
d'ailleurs semble se confirmer), il a demandé qu'on laisse
circuler librement le virus H5N1 responsable de la grippe
aviaire, qui décime entre 90 et 95 % des dindes, des poules
et des poulets des élevages où il débarque (il en a éliminé
158 millions en trois ans), histoire d'immuniser les
survivants. Sauf que le virus mute, et que les volailles ne
sont pas immunisées contre ses nouvelles versions. Enfin,
Trump a non seulement fait sortir les USA de l'OMS, mais
aussi commencé à démanteler le réseau américain de veille
sanitaire, humaine et animale (le quart des effectifs des
laboratoires de veille sanitaire vétérinaire ont été
limogés. Et l'Institut national de la Sanbté (NIH) chargé de
la recherche médicale a annoncé une coupe massive, de
plusieurs milliards, dans le financement des universités et
des centres de recherche.
Le trumpisme
s'attaque aussi, évidemment, à tout ce qui, admettant
l'évidence du changement climatique, pourrait contribuer
d'abord à le mesurer scientifiquement, ensuite à en
combattre les effets. Le programme de recherche qui informe
le Congrès sur le dérèglement climatique et ses
répercussions sur les populations a perdu son financement.
Plus globalement, c'est à toutes les recherches que
s'attaque l'administration et le gouvernement, conformément
à la proclamation, en 2021 J.-D. Vance, devenu depuis
vice-président des USA (et à qui le pape François a accordé
sa dernière audience... avant de mourir...) : "les
universités, voilà l'ennemi". Les enseignants et les
chercheurs sont licenciés, les crédits coupés, des mots
interdits. Quelques universités (dont Yale, Princeton,
Harvard) résistent et dénoncent une "ingérence
gouvernementale sans précédent, menaçant l'enseignement
supérieur américain, d'autres (dont Columbia) s'écrasent. Et
le discours raciste, misogyne, xénophobe, peut s'asséner
sans contradiction, car Trump s'en prend aussi à la presse,
aux cabinets d'avocats. "L'essence de la propagande ne
réside pas dans la variété mais plutôt dans l'énergie et
l'opiniâtreté avec lesquelles on assène aux masses une
poignée d'idées soigneusement choisies en recourant aux
méthodes les plus diverses", écrivait Joseph Goebbels...
mais Trump n'a sans doute pas lu Goebbels -il ne lit rien.
Enfin, il y a le
grand poker menteur des taxes à l'importation imposées par
Trump, puis retirées ou réduites, puis à nouveau
réintroduites (et renforcées face à la Chine, qui du coup en
fait autant face aux USA : faut pas jouer au poker menteur
face à des joueurs de Go). Des taxes imposées n'importe
comment, d'ailleurs : Trump a ainsi imposé (avant qu'on lui
ait fait comprendre que c'était une connerie) des droits de
douane de 50 % au département français de
Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'il avait pris pour un Etat
indépendant... Il a aussi annulé les 135 % de taxes sur les
smartphones et ordinateurs fabriqués en Chine pour des
firmes américaines (Apple, Dell, Texas et autres), quand on
lui a là aussi fait comprendre que c'était une connerie de
doubler le prix de produits dont l'écrasante majorité des
foyers américains ont fait, font ou feront l'acquisition. Et
le 9 avril, Trump a annoncé le report de trois mois des
taxes à l'importation qu'il avait dans un premier temps
imposées à 60 pays et qui avaient provoqué une crise
boursière et la revente massive à l'Etat d'obligations
émises par les USA pour financer leur dette abyssale (ils
sont l'Etat le plus endetté de la planète).
"Que feront les gens
qui ont voté pour Trump le jour où ils s'apercevront que lui
et sa petite bande de milliardaires les ont escroqués ?", se
demande Colum Mc Cann... S'en apercevront-ils seulement ?
Les syndiqués qui ont voté pour un homme qui déteste les
syndicats, les femmes qui ont voté pour un abuseur sexuel,
les anciens combattants qui ont voté pour un homme qui n'a
eu ni le courage d'aller combattre ni celui de déserter, les
retraités qui ont voté pour un homme dont l'administration
s'attaque ou annonce vouloir s'attaquer aux retraites et au
maigre dispositif d'assurance-maladie, les gens modestes qui
ont voté pour un homme dont les décisions politiques vont
faire repartir l'inflation, vont-ils lâcher celui qu'ils ont
fait élire et qui a encore plus de trois ans pour les
"escroquer" ? Et s'ils et elles ne le lâchent pas, qui
pourra l'arrêter ? la constitution américaine ? il est prêt
à s'asseoir dessus. Le reste du monde ? Il y a trop de
potentats qui lui ressemblent pour pouvoir compter sur la
"communauté internationale" pour le mettre au pas. La Chine,
alors, ou la Russie ? Quel intérêt y auraient-elles, quand
tout ce qu'il perpètre les renforce ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire