7 mai 2025, jour du dépassement : Il nous faut deux Terre de plus

Mercredi dernier, 7 mai, c'était pour la Suisse le «jour du dépassement», ou «Overshoot Day» -le jour où le pays a épuisé toutes ses ressources naturelles disponibles pour toute l'année. Autrement dit, pendant presque sept mois, on fonctionnera à crédit environnemental en consumant déjà les ressources de l'année prochaine. Or ce jour du dépassement de nos ressources naturelles disponibles tombe de plus en plus tôt : en 2024, il était tombé le 27 mai, trois semaines plus tard que cette année. Et en 2020, il était tombé le 22 août... grâce à la pandémie covidienne. Il signifie quoi, ce "jour du dépassement" en Suisse tombé cette année la semaine dernière, le 7 mai ? Il signifie que  si toute l’humanité vivait comme les Suisses, elle aurait besoin de 2,87 planètes Terre pour continuer à fonctionner comme elle fonctionne. Et comme une partie d'entre elle se déplace : évidemment pas les réfugiés traversant la mer sur des rafiots pourris, ni les plus pauvres de nos concitoyens, mais comme les Helvètes moyens.

La justice climatique, c'est toujours de la justice sociale.

Le concept de limite planétaire définit le niveau de pollution et, plus largement, d'atteinte à l'environnement (changement climatique, dégradation de la biodiversité et des sols, perturbation des cycles chimiques etc...), que la planète peut supporter. Le dépassement de ces limites menace les chances de survie de l'humanité, or un pays comme la Suisse les dépasse toutes, et occupe le troisième rang dans le funeste classement des pays les plus perturbateurs du climat, alors que sa constitution exige "la conservation durable des ressources naturelles".

La Suisse ne pollue pas que la Suisse, mais pollue partout. Et surtout ailleurs. Quand un Suisse émet 45 fois plus de CO2 par année qu'un Mozambicain (14 tonnes contre 300 kilos), la responsabilité de la Suisse dans la lutte contre le réchauffement climatiques est évidemment plus grande que celle du Mozambique. Or les pires effets du réchauffement climatique touchent les pays et les populations les plus pauvre -autrement dit : ceux et celles qui en sont les moins responsables... Les plus riches peuvent les contourner ces effets, s'installer dans des cadres de vie plus éloignés des régions les plus menacées par les ravages environnementaux. L'urgence climatique ? Pour les maîtres de l'économie, les Etats les plus puissants, les multinationales, leurs actionnaires, leurs dirigeants, leurs clientèles, elle ne signifie rien. La seule urgence à laquelle ils veulent répondre, c'est celle de leurs profits. Qui a les moyens de les contraindre à regarder en face la réalité qu'ils vont léguer aux générations futures ? Et par quels moyens les contraindre à penser au vivant plutôt qu'au pognon ? Les plus riches de Suisse consomment, investissent et détruisent sans presque rien payer en retour. Une initiative a été lancée, a abouti, et va être soumise au peuple : "l’initiative pour l’avenir", qui propose l'instauration d'un impôt de 50 % sur les héritages de plus de 50 millions de francs, pour financer une protection du climat socialement juste, qui serait financée par les premières et premiers responsables de la crise climatique.

Il y a à mener ici (et à soutenir ailleurs) des politiques d'urbanisme, de transports, d'alimentation, d'environnement rompant radicalement avec celles suivies jusqu'à présent, et cette rupture sera coûteuse. Et ira bien au-delà d'une "transition écologique" ne se pensant qu'en termes technologiques, de substitution de technologies à d'autres (la voiture électrique à la voiture à essence, par exemple) sans remettre en cause la croissance, en ajoutant une production d'énergie à partir de sources renouvelables à une production à partir de sources non-renouvelables en admettant une croissante constante de la consommation d'énergie.

La crise écologique pose la question sociale : elle est la résultante d’un mode de production et d’un système de propriété : le capitalisme, face à quoi il nous faut désormais renoncer au vieux postulat marxiste du libre développement des forces productives pour lui substituer l’exigence du contrôle et de la limitation démocratiques de ces forces, jusqu’au renoncement à certaines d’entre elles –la production nucléaire d’énergie, par exemple. Nous avons à conjuguer démocratie radicale, justice sociale et écologisme humaniste, non pour « sauver la planète » (elle survivra à tout, jusqu’à ce que son étoile agonisante la dévore) mais pour sauver ce qui y vit, tant qu'il sera possible d'y vivre. Et cela, c'est toujours le même combat pour la justice sociale, et toujours une lutte des classes entre celles qui détruisent l'environnement et celles qui sont détruites avec lui.

Comme l'écrit le juriste Sebastien Mabile "le problème posé par la catastrophe climatique n'est pas technique, ni financier. Il est politique". Et s'il est politique, c'est parce que la justice climatique, c'est toujours de la justice sociale. Et que la justice sociale est un projet politique.
Et ça tombe bien : c'est le nôtre.

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