Genève : les 30 km/h au TAPI

Embouteillage d'expertises

Fin mars, à Genève,  le Tribunal administratif de première instance (le TAPI) a annulé, sur recours d'une seule personne (un policier) l'arrêté pris en 2022 limitant la vitesse de circulation à 30 km/h, de jour comme de nuit, sur 456 voies de circulation. C'est toute la stratégie de lutte contre le bruit routier qui se trouve ainsi bloquée, alors même que les juges ont reconnu que les limitations de vitesse sont "d'un intérêt public important" et permettent effectivement de protéger la santé de la population, sans impacter le travail des policiers lors d'interventions d'urgence (c'était le principal argument du policier recourant -il n'a donc pas été retenu). Ils ont cependant demandé des expertises préalables sur chacun des axes routiers où ces limitations doivent (ou devraient) être appliquées. Or ces axes, il y en a 456. Produire une expertise sur chacun d'entre eux est pratiquement irréalisable avant des années. Les dizaines de milliers de personnes à Genève qui souffrent du bruit attendront donc, des boules Quies dans les oreilles. Après tout, ils ont l'habitude : cela fait déjà quarante ans que Genève dépasse les normes fédérales de protection contre ce bruit...

La plus douce des mobilités douces...

Selon un rapport réalisé par la Banque cantonale de Zurich, la ville la plus bruyante de Suisse est... Genève ! Genève, bruyante ? Sans blague ? Sans blague : un tiers (32,7%) des logements de la Villes sont exposés à au moins 60 décibels (soit l'équivalent d'une tondeuse à gazon à moteur pas électrique, à dix mètres de distance), et seuls 4 % des adresses sont situées dans un endroit calme.  Cimetières compris, sans doute.  Suivent Genève dans le classement du fracas, Lugano et Lausanne. L'étude considère que la réduction de la vitesse reste le meilleur moyen de réduire le boucan du trafic motorisé. A part, bien sûr, mais ça l'étude ne le dit pas, la réduction du trafic motorisé lui-même (y compris les motos et scooters, et même les voitures électriques). Bref, tout milite pour la réduction à 30 km/h de la vitesse de circulation sur les voies où le canton entendait la limiter... avant que le TAPI s'en mêle et emmêle le dossier, en considérant qu'en voulant limiter la vitesse de circulation, le canton est allé trop vite en besogne administrative.

La Conférence des villes pour la mobilité s'est prononcée en faveur du 30km/h comme règle dans les villes, 50km/h demeurant une exception possible. Mais la droite du parlement fédéral veut, en s'asseyant lourdement sur le principe de subsidiarité, priver les villes (et toutes les collectivités locales) de la possibilité d'introduire cette mesure sur leur territoire, ce dont, soit dit en passant (à pied, à 5 km/h) le canton de Genève prive déjà ses communes, Ville de Genève comprise (ou Ville de Genève surtout). Pourtant, le 30 km/h n'a que des avantages (ou presque : il énerve les bagnolards); il est bon contre le bruit, bon pour la santé, bon pour la mobilité douce, bon pour les transports publics (dont à Genève la vitesse moyenne est de 15 km/h...), bon pour la réappropriation de l'espace public par les habitants... Il est vrai que le parlement fédéral étant à large majorité de droite alors que la majorité des villes sont à majorité de gauche, on s'explique facilement la tendance du premier à réduire au maximum l'autonomie de décision des secondes, surtout quand leurs décisions pourraient contrecarrer l'obsession de la priorité au trafic individuel motorisé sur toutes les autres formes de mobilité... Eh oui, la politique des transports, c'est aussi de la politique politicienne...

On s'est engagé dans les principales villes de Suisse) dans une politique de réduction du trafic automobile et de développement de la mobilité douce, pour la "ville du quart d'heure", les déplacements à pied, les transports publics... la limitation de la vitesse à 30 km/h est l'un des éléments de ce choix d'une "transition de la mobilité". Un élément essentiel dans la lutte contre le bruit et l'insécurité dans les transports. Mais pour le directeur du TCS genevois, la priorité est ailleurs :  "il faut surtout agir sur les revêtements et les pneus". Ou les essuie-glaces, les rétroviseurs, les pare-chocs, l'allume-cigare ?

30 km/h, c'était la vitesse maximale, avec vent arrière, d'un Velosolex. Alors, si quelqu'un en a un en état de marche et à vendre d'occase, qu'il ou elle s'annonce... On  veut être comme Jacques Tati dans "Mon Oncle" ou Jacques Denis dans "La Salamandre". Sinon, on continuera à marcher dans la ville. Piéton de Genève comme Léon-Paul Fargue et Restif de la Bretonne l'étaient de Paris. Marcher, quand on en a la possibilité, c'est tout de même depuis un million d'années le moyen le plus commode (et le plus silencieux) de se déplacer. Et le premier mode de déplacement en Ville de Genève. Et le seul qui permette de vraiment connaître sa ville. La plus douce  des mobilités douces...

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