Initiative UDC "J'y vis, j'y paie" : Robin des Bourges
Le 18 mai, le corps électoral genevois (qui regroupe moins de la moitié de la population du canton, et dont sont exclus du fait de leur nationalité une grande partie de celles et deux que cet objet concerne en tant que contribuables) se prononcera sur une proposition concoctée par la droite de la droite (l'UDC), soutenue par une partie de la droite traditionnelle et par les syndicats patronaux, d'abolir le partage du produit des impôts entre la commune de domicile et la commune de travail des contribuables (à raison, respectivement, de 80 et 20 %). Une proposition à laquelle une majorité d'une voix du parlement cantonal fait mine d'opposer un contre-projet dilatoire, qui reprend l'intention initiale de l'UDC : enrichir les communes déjà les plus riches en appauvrissant celles qui financent des prestations et des installations dont bénéficie toute la population du canton (et une partie de celle de la Grande Genève qui n'habite pas le canton). Robin des Bois prenait aux riches pour distribuer aux pauvres, Robin des bourges fait le contraire.
Il ne s'agit pas seulement de savoir où on dort...
Le système genevois de partage du produit des
impôts entre la commune de résidence et la commune de travail,
que veulent abolir l'UDC et les syndicats patronaux, ne tombe
pas du ciel : il résulte du fait qu'encore 40 % de la
population du canton habite la Ville de Genève (une proportion
qui était encore bien plus élevée à l'époque où ce système a été
institué), qu'elle concentre la majorité des emplois, la
majorité des institutions culturelles et des dépenses
culturelles et sportives des collectivités publiques, qu'elle a
à répondre à son rôle de ville-centre et que les villes
genevoises ensemble (Genève comprise) concentrent 70 % de la
population et l'écrasante majorité des lieux culturels et
sportifs importants du canton. Comme l'écrit Ulrich Jotterand
dans le dernier bulletin de l' AVIVO (qui appelle à refuser à la
fois l'initiative de l'UDC et le contre-projet du reste de la
droite), "il ne s'agit pas seulement de savoir où l'on vit"
(disons plutôt, "où l'on dort...") "mais aussi où l'on contribue
-au sens plein- à la vie de la cité"...
Pourquoi, dès lors, s'obstiner à vouloir changer
un système qui fonctionne, redistribue ce qu'il est nécessaire
de redistribuer à qui il est nécessaire de le redistribuer,
prend en compte la mobilité quotidienne de la population
genevoise entre les communes du canton (et de la France voisine,
à défaut de pouvoir le faire avec celles du canton de Vaud) et
joue donc le rôle qui lui a été assigné, en prenant
effectivement en compte les besoins des villes et le rôle de
ville-centre de celle de Genève ? Contrairement à ce qu'affirme
la droite genevoise, ce système n'est pas opaque : lorsque les
contribuables reçoivent leur avis de taxation, ils peuvent y
voir clairement à quelle(s) commune(s) iront les impôts qu'ils
paient (quand ils en paient), quelles sont les proportions de la
répartition entre la commune de domicile et la commune de
travail, et donc combien ils paient à chacune de ces communes.
Pourquoi abolir ce système ? Parce qu'il permet à des villes de
gauche de financer des prestations dont bénéficient non
seulement leurs habitants, mais aussi ceux de communes de
droite. Qui ne veulent plus y contribuer. Au fond, ce système
n'a qu'un seul défaut : il ne s'applique pas aux pendulaires
vaudois, qui ne paient d'impôts que dans le canton et la commune
où ils résident (Vaud), sans contribution à celui et celle où
ils travaillent et sont payés. En revanche, il s'applique,
indirectement, aux pendulaires français (les "frontaliers"),
puisque l'accord franco-suisse de 1973 reprend, pour Genève, le
principe de l'imposition sur le lieu de domicile (une commune
française) et le lieu de travail (une commune genevoise), où ils
sont imposés à la source, avec une redistribution (de 3,5 % de
la masse salariale) au lieu français de résidence.
Les villes (mais aussi les
autres communes) qui font les plus gros efforts sociaux,
culturels, sportifs, auraient le choix si la part des impôts
qu'elles reçoivent en tant que communes de travail était abolie
: couper dans leurs prestations ou augmenter leurs impôts pour
maintenir les déficits budgétaires dans un cadre légal imposé
par le canton. Ou imposer des tarifs différenciés selon le lieu
de domicile pour l'accès à leurs installations. Quant aux
communes qui ne font rien, qui se trouvent être les plus riches,
notamment les parcs à bourges de la rive gauche, elles
bénéficieront de recettes fiscales supplémentaires dont elles
n'ont pas besoin, et pourront encore baisser leurs impôts -qui
sont déjà les plus bas du canton. En clair, "j'y vis, j'y paie",
c'est enrichir les riches. Neuf communes abritant 360'000
habitants seraient perdantes, la Ville de Genève perdrait, dans
l'opération, autour de 50 millions par an : à peine plus que ce
que lui coûte chaque année le Grand Théâtre, dont la seule Ville
assure les deux tiers du financement, alors qu'à peine plus d'un
tiers de son public est domicilié en Ville. -mais c'est tout le
tissu culturel genevois qui serait mis en danger, compte tenu du
poids qu'y prend, en termes de soutiens financiers, la Ville de
Genève. Et d'autres villes devraient passer à la caisse pour
enrichir les communes riches : Lancy y perdrait autour de dix
millions de francs chaque année, Carouge autour de six
millions... mais Cologny y gagnerait cinq millions,
Collonge-Bellerive six millions, Vandoeuvres plus de trois
millions...
A cette initiative nuisible pour l'équilibre
financier des communes, la qualité des services publics, le
niveau des prestations à la population, s'opposait un
contre-projet dilatoire, adopté à une seule voix de majorité au
Grand Conseil, qui entre en matière sur l'abolition du partage
du produit de l'impôt entre la commune de domicile et celle de
travail, et propose de la remplacer par une réforme de la
péréquation financière... à bricoler d'ici à 2029 au plus tôt.
Et l'Association des communes prévenait: cette réforme dont on
ne connaît rien ne compensera pas les pertes provoquées par la
fin de l'imposition au lieu de travail. Et les communes riches
n'hésiteront pas à refuser de payer plus dans le cadre d'une
péréquation réformée, comme Cologny l'avait fait (en saisissant
la justice, où elle a été déboutée) quand elle devait payer pour
combattre le sans-abrisme.
Vous avez reçu votre bulletin de vote pour le
scrutin de dans deux semaines. Faites en bon usage. Ou préparez
vous, si vous habitez une ville genevoise, à payer plus d'impôt
municipal, ou plus de taxes d'usage des infrastructures
municipales, ou à renoncer à des prestations. Ou tout cela à la
fois.
Mais si vous habitez Vandoeuvres, Anières, Cologny ou Collonge-Bellerive, faites de beaux rêves...
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