La démocratie, ou comment ne pas s'en débarrasser
Une volonté révolutionnaire
Ce qu'il y a de bon quand on met
fin à un mandat politique, fût-il le plus modeste (Conseiller
municipal, par exemple), c'est qu'on peut prendre un peu de
champ (et un peu de hauteur) avec le mandat qu'on a exercé, avec
la manière dont on l'a exercé, avec le sens de ce mandat.
Prenons donc ce champ (et, prétentieusement, cette hauteur). La
démocratie n’est pas un état acquis,
mais encore, et toujours, une revendication. Le
pouvoir du peuple, cette étymologie de la démocratie, est aussi
cet horizon
qu’elle n’atteint jamais ; l’égalité des droits, cette condition
de leur
exercice démocratique, est aussi cette contradiction
fondamentale de
l’inégalité des situations. Et par le fait même que la
démocratie promet plus
que ce qu’elle est, elle entretient la volonté de la faire
ressembler à ce
qu’elle promet.–et cette volonté n'est-elle pas une volonté
révolutionnaire ?
Il n’est de lieu politique qui ne puisse être subverti -c’est affaire de volonté, d’imagination et de cohérence : quand on y est, il faut y être sans en être.
La démocratie reste donc une
revendication, et même une revendication
révolutionnaire ? car si on voit et comprend bien à quoi elle ne
ressemble pas
(la dictature, l’oligarchie, l’autocratie, la théocratie), on a
peine à en
trouver une définition qui soit commune à tous ceux qui
prétendent la
défendre. Elle ne se
confond ni ne se
réduit à des processus électoraux ou référendaires, ni à des
institutions de l’Etat, car elle est
un principe bien avant que d’être une procédure ou un mode
d’organisation. Elle
suppose en effet la liberté, l’égalité, la justice, le respect
de la dignité
bien plus que l’élection ou le référendum : le pouvoir du peuple
ne se
confond pas avec celui de la majorité du peuple, et lorsque la
majorité du
peuple acquiesce à la négation des droits de la minorité et à la
réduction des
libertés individuelles ou collectives, c’est la majorité du
peuple qui viole la
démocratie.
La démocratie est un état permanent, l’élection et le vote ne sont que des moments. La démocratie suppose en outre des citoyennes et des citoyens, et la réalisation de la démocratie des citoyennes et des citoyens libres de leurs choix, capables de les exprimer, de se déterminer en fonction d’eux et de prendre collectivement les décisions qui les concernent, y compris celles qui concernent leurs conditions de travail, sa rémunération, son sens et son utilité. En quoi il se confirme qu'on ne fait pas une révolution seulement pour pouvoir voter sur quoi un pouvoir institué nous laisse voter ou élire... On fait une révolution pour passer un nouveau contrat social -or on sait, devrait savoir depuis Rousseau, que le contrat social n'est pas passé entre les citoyens et l'Etat, mais entre les citoyens et les citoyennes eux et elles-mêmes : l'Etat n'est pas partie au contrat, il est créé par le contrat.
Nous ne devons donc pas jeter le bébé démocratique avec l’eau du bain étatique. Il nous suffit de nous souvenir de ce que la bourgeoisie fait de la démocratie lorsqu’elle la gêne, pour nous convaincre que cet outil n’est pas sans nécessité pour nous, et nous sommes bien avec Rosa, contre Lénine. Avec le socialisme qui vient d’en bas, contre sa caricature qui tombe d’en haut. La Première Internationale –la seule, à vrai dire- ne projetait-elle pas la République démocratique et sociale (un intitulé qui fut celui du premier parti socialiste créé à Genève) ?
Si nous pouvons admettre que, comme le proposait Spinoza, la démocratie soit l’autre nom de la liberté sur le plan politique, nous savons aussi qu’en démocratie le peuple que la démocratie rend collectivement libre n’a pas toujours raison. La démocratie, ce n’est pas l’omniscience du peuple, mais son omnipotence. En démocratie, le peuple a le pouvoir d’avoir tort et d’imposer son tort. L’exercice consistant à le convaincre est ce qui justifie notre adhésion aux principes d’une démocratie dont nous combattons les formes, pour en instaurer le fond. En ce combat cependant, même ces formes, celles de la démocratie « bourgeoise » (nées d’ailleurs de révolutions) doivent être respectées, parce qu’elles sont une limite à l’abus du pouvoir en place. Or il est dans la nature de tout pouvoir d’être abusif. Et d’être capable de prendre ceux qui croient l’avoir pris. Bakounine en tirait la crainte, justifiée et confirmée par quelques expériences notoires, que « si demain on établissait un gouvernement et un conseil législatif, un parlement, exclusivement composé d'ouvriers, ces ouvriers, qui sont aujourd'hui de fermes démocrates socialistes, deviendraient après-demain des aristocrates déterminés, des adorateurs hardis ou timides du principe d'autorité, des oppresseurs et des exploiteurs », et de cette crainte le programme, radical, d’ « abolir complètement, dans le principe et dans les faits, tout ce qui s’appelle pouvoir politique, parce que tant que le pouvoir politique existera, il y aura des dominateurs et des dominés (…) ». Programme excessif ? Il faut bien exiger l’absolu pour pouvoir obtenir le relatif…
Finalement, il n’est de lieu
politique qui ne puisse être
subverti -c’est affaire de volonté, d’imagination et de
cohérence :
quand on y est, il faut y être sans en être.Et si on y a réussi
en seize ans de Conseil municipal, on aura pas tout à fait perdu
notre temps -et on pourra même se consoler sans difficulté de
l'avoir faire perdre à d'autres.
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