Xénophobie d'Etat(s)
"La Suisse est-elle xénophobe ?"
Inquiète, la "Tribune de Genève" du 26 mars s'interrogeait : "La Suisse est-elle xénophobe ?". Comme si la réponse n'était pas évidente : oui, la Suisse est xénophobe. Mais elle l'est comme les autres Etats modernes. Sa xénophobie est une xénophobie d'Etat. Or "la Suisse", ce n'est pas "les Suisses et les Suissesses". C'est la Suisse, et pas les Suisses, qui, associée au système de Schengen-Dublin, entend adhérer au "pacte européen sur la migration et l'asile", dont les promoteurs affirment qu'il veut rendre le système européen de migration et d'asile plus efficace, résistant et solidaire, en harmonisant les procédures, en équilibrant les charges des Etats membres du système de Schengen-Dublin, et que les milieux de défense de l'asile dénoncent comme étant le plus grand durcissement du droit d'asile de l'histoire de l'Union européenne". Comme si durcir les conditions d'immigration légale et réduire les possibilités d'asile ne faisait jamais autre chose que renforcer l'immigration illégale, le séjour et le travail clandestins, et donc l'économie informelle, freiner l'intégration des immigrants, dégrader les conditions de séjour (logement, soins) de la population concernée...
A peine est-il deux ou trois coins au monde, qui n'aient senti l'effet d'un tel remuement
L'Etat, ce n'est pas le peuple. La Confédération suisse, donc, ce n'est pas, s'agissant de l'attitude à l'égard des étrangers, les Suisses et les Suissesses. L'enquête de l'Office fédéral de la statistique pour 2024 le constate : neuf personnes sur dix en Suisse côtoient régulièrement des étrangers et des étrangères, et ces relations ne posent aucun problème pour les deux tiers des habitant.e.s. Reste donc un tiers (presque le poids politique de l'UDC...) pour qui cela pose problème . L'enquête de l'OFS détaille : les personnes se situant politiquement à droite sont deux fois plus susceptibles d'être "dérangées par les étrangers" que celles se situant au centre, presque quatre fois plus que celles se situant à gauche, et même dix fois plus qu'à gauche à se se sentir "menacées" par les étrangers. Logiquement, les personnes issues de la migration sont deux fois moins xénophobes que les indigènes, mais 40 % d'entre elles avouent tout de même ressentir une gêne, et 16 % un sentiment de menace, à l'égard de personnes d'une autre langue, religion ou couleur de peau. Et sans doute à plus forte raison quand ces critères de l'étrangeté se cumulent. Autre cause importante de différence dans l'attitude à l'égard des étrangers : le lieu de vie : plus la zone où on vit est densément peuplée, moins on est gêné ou se sent menacé par les différences d'origine. A contrario, la gêne ou le sentiment de menace face à la diversité est massivement plus fréquent dans les zones peu denses (41 % contre 23,9 % dans les villes), et également plus fréquent dans les zones suburbaines (33,6 %). Il y a là une logique : l'acceptation de l'autre croît avec les contacts avec l'autre. Et il en découle une autre conséquence logique, politique celle-là : la faiblesse du principal parti xénophobe, l'UDC, dans les villes, et donc sa détestation des villes. Comme, par exemple, Genève (en s'autorisant à identifier la ville et le canton).
En moyenne sur la période 2018-2022, la population résidante permanente âgée de 15 ans ou plus est formée à Genève de trois tiers presque équivalents : 35 % de Suisses non issus de la migration (essentiellement des Suisses de naissance dont au moins l’un des parents est né en Suisse), 34 % d'étrangers de première génération, 28 % de Suisses issus de l'immigration et de 3 % d'étrangers de deuxième génération. La population suisse non issue de la migration est la plus âgée de ces trois composantes de la population genevoise (28 % de plus de 65 ans). A l'inverse, les étrangers et étrangères de premières génération (« primo-migrants »), sont pour près de 80 % en âge de travailler. Une partie d’entre eux deviendront suisses avant l’âge de la retraite (la population suisse issue de la migration est principalement constituée de Suisses naturalisés nés à l’étranger, c’est-à-dire d’anciens étrangers.), et une autre part quitteront Genève à l’âge de la retraite. La population la plus jeune est la population étrangère de deuxième génération, (descendance des étrangers de première génération) avec un peu plus d’un tiers de 15 à 24 ans.
"Tantôt on donne congé à une grande multitude de familles, pour en décharger le pays, lesquelles vont chercher ailleurs où s’accommoder aux dépens d'autrui. De cette façon nos anciens Francons, partis du fond de l'Alemaigne, vinrent se saisir de la Gaule, et en déchasser les premiers habitants : ainsi se forgea cette infinie marée d'hommes, qui s'écoula en Italie sous Brennus et autres : ainsi les Goths et les Vandales : comme aussi les peuples qui possèdent à présent la Grèce, abandonnèrent leur naturel pays pour s'aller loger ailleurs plus au large : et à peine est-il deux ou trois coins au monde, qui n'aient senti l'effet d'un tel remuement" (Montaigne, qui se trompe sur le déroulement et la succession des migrations, mais pas sur leur logique).
Les hommes et les femmes qui se trouvent depuis
dix, vingt ou trente ans, ou plus encore, dans un pays qui n'est
pas celui de leur naissance, sont-ils toujours des migrants ? Ce
sont sans doute des immigrés, mais plus des immigrants : ils ne
migrent plus : là où ils sont, là où ils vivent, là où ils
travaillent, là où ils consomment, là où ils agissent
socialement et parfois politiquement, c'est chez eux. Et c'est
chez nous. Dans un un pays qui a besoin d'eux pour faire
tourner son économie, remplir ses caisses publiques (En 2020, la
contribution fiscale nette des immigrants en Suisse est de
15 % supérieure à celle des natifs), maintenir ses standards sociaux, équilibrer sa
structure démographique. Et si c'est à Genève, dans une ville
(un canton) qui a besoin d'eux pour être un tant soit peu fidèle
à sa réputation, son image, sa prétention, de "Cité du Refuge".
Son identité, en somme...
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