1 % du budget cantonal genevois pour promouvoir la culture et la création artistique

La moindre des choses...

En mai 2019, le peuple genevois plébiscitait à 83,18% des votes l’initiative «Pour une politique culturelle cohérente à Genève», qui inscrivait dans la constitution le mandat au canton et aux communes d'élaborer et mettre en oeuvre «une stratégie de cofinancement pour la création artistique et les institutions culturelles». Le mandat constitutionnel donné, restait -et reste encore- à le concrétiser – sans quoi, il  ne serait qu'une proclamation sans conséquence. La nouvelle loi sur la culture est un premier pas dans cette concrétisation. Les socialistes proposent un pas supplémentaire, en lançant une initiative pour que le canton consacre au moins 1% de son budget de fonctionnement à la promotion de la culture et à la création artistique. « 1% pour la culture », ce n'est tout de même pas trop demander. C'est même la moindre des choses...

Les feuilles de signatures sont téléchargeables sur 

https://ps-ge.ch/wp-content/uploads/2025/06/initiative-1-pour-la-culture_ps.pdf


Prendre la Constitution, la loi et l'accord canton-communes à leurs propres mots

Parler de politique culturelle, de création culturelle, de champs culturels, ce n'est pas parler d'"art pour l'art", c'est aussi  parler d'argent. De moyens à accorder aux acteurs culturels, institutionnels ou non, historiques ou non. De rémunérations à garantir aux créateurs et à celles et ceux qui représentent les créations. De temps à assurer à ces créations et à ces représentations. Et c'est aussi parler de coordination entre les collectivités publiques (à Genève, le canton et les communes) qui peuvent accorder ces moyens, et mener, non chacune pour elle-même mais toutes ensemble, des politiques culturelles.

Que la Ville de Genève se charge de l'essentiel de la politique culturelle genevoise (mais elle n'aide pratiquement pas le livre, et fort peu les arts visuels) arrangeait finalement beaucoup de monde : le canton, parce qu'il n'avait pas à la financer, la Ville parce qu'elle y trouvait un domaine de compétence où elle n'avait, situation exceptionnelle, à attendre aucune autorisation du canton pour agir. Avec l'accord passé entre le canton, les communes et la Ville, qu'est-ce qui change ? Une plus grande participation du canton au financement de la culture à Genève -mais sans que cette participation atteigne celle de la Ville. Et un plus grand pouvoir du canton sur les décisions en matière de politique culturelle, sans que ce plus grand pouvoir ne s'accompagne d'un engagement financier qui y corresponde.

Tout part de l'acceptation massive par le peuple, en 2019, de l'initiative cantonale  «Pour une politique culturelle cohérente à Genève». Le 8 décembre 2022, le canton, la Ville et l'Association des communes s'engageaient, dans un "accord pour la politique culturelle à Genève", à (notamment) mener une politique culturelle "cohérente, solide, durable et inclusive" en développant un "partenariat renforcé entre le canton et les communes", à s'appuyer pour cela "sur la consultation des actrices et acteurs du domaine de la culture et sur la concertation entre les entités publiques qu'elles représentent", à "soutenir le principe d'un financement de la culture basé sur le cofinancement, par les communes et le canton, de la création artistique et des institutions culturelles" et à "prévoir la mise en œuvre de la bascule fiscale" dans un délai de cinq ans dès que les négociations pour la "stratégie" de  ce cofinancement seront terminées. S'en est suivi un projet de loi déposé par le Conseil d'Etat, et voté par le Grand Conseil, remplaçant la loi de 2013, qui ne méritait certainement pas d'autre destin -l'initiative populaire l'ayant scellé.  Le Conseil d'Etat n'avait pas lésiné sur l'hyperbole dans son exposé des motifs de la loi : son ambition était de "doter la politique culturelle cantonale d'un cap et de mécanismes clairs", le projet de loi (devenu loi) "donne à la culture genevoise les moyens d’être l'un des ciments de la cohésion sociale" (elle ne l'était donc pas, attendant l'arrivée du canton comme la Belle au bois Dormant celle du beau prince ?)...

Tout baigne donc dans l'huile du consensus sur le rôle culturel des collectivités publiques genevoises ? Ce serait aller trop vite en satisfaction.  On ne peut certes que se féliciter de ce début de commencement d'une concrétisation des objectifs de l'initiative pour une politique culturelle cohérente à Genève. Mais on ne peut en même temps que noter ses insuffisances, ses contradictions -et les dangers que les conditions de cette concrétisation font peser sur les acteurs de la politique culturelle : les artistes, les créateurs, le secteur culturel associatif et non institutionnel. Il manque 100 millions de francs pour que la loi sur la culture soit pleinement appliquée par le canton qui l'a adoptée. Parce que c'est au canton que ces moyens manquent.  C'est donc au canton que l'initiative socialiste veut accorder ces moyens, en proposant qu'au moins 1 % de son budget de fonctionnement soit accordé à financer l'effort que la loi lui demande de faire -et qu'il n'y actuellement pas les moyens de faire. 1 %, ce n'est pas énorme -mais c'est tout de même 110 millions. Moins que ce que la seule Ville de Genève accorde à sa propres politique culturelle (dont tout le canton profite), mais bien plus que ce dont le canton dispose actuellement pour tenter d'en avoir une lui-même. Et pour qu'il puisse assumer les tâches que la loi lui assigne.

Le cofinancement des grandes institutions ? il reste partiel, et l'apport financier cantonal à la politique culturelle reste très inférieur à celui de la Ville de Genève (et plus inférieur encore à celui de l'ensemble des communes) : le budget culturel du canton n'augmentera que de onze millions de francs en 2026 (c'est quasiment le montant de la seule subvention de la seule Ville de Genève au seul Grand Théâtre, dont la seule Ville assure les deux tiers du financement, alors qu'à peine plus d'un tiers de son public est domicilié en Ville), le cofinancement des grandes institutions restera loin des 50 % partagés avec le Ville et ne concernera que les institutions autonomes comme le Grand Théâtre ou la Nouvelle Comédie, le canton n'entendant pas financer les institutions en gestion municipale directe (les grands musées).

La coordination entre le canton et les communes ? Dans le communiqué commun du canton, de la Ville et des communes annonçant leur signature d'un "Accord pour la politique culturelle à Genève", le Conseiller d'Etat chargé de la culture (et, alors, aussi du sport -les deux domaines venant seulement d'être rendus autonomes l'un de l'autre), Thierry Apothéloz, était fier d'annoncer que l'accord "fixe résolument le rôle du canton comme coordinateur" de la politique culturelle genevoise. "Résolument", peut-être (l'adverbe découle du substantif "résolution"...),   crédiblement, c'est à voir : le canton n'a ni l'expérience, ni les moyens humains de coordonner une politique dont il n'était depuis un siècle et demi que le partenaire junior de la Ville... et la fameuse "bascule fiscale" impose que toute dépenses supplémentaire du canton aboutisse à une réduction des dépenses de la Ville (qui consacre entre le cinquième et le quart de son budget au soutien à la culture et au fonctionnement de son service culturel)  et soit compensée par une réduction de l'impôt municipal, ce qui empêche qu'un effort réel en faveur de la culture puisse résulter du cofinancement (restant inégal) de la culture par le canton et la Ville.

La consultation des milieux culturels ? Ceux-ci, en particulier les acteurs non-institutionnels, craignent précisément qu'on en reste à une consultation alors qu'ils auraient souhaité une véritable concertation.

L'amélioration des conditions de travail des acteurs culturels ? C'est en tout cas un processus qui a été engagé par la Ville de Genève, notamment par l'inscription dans les conventions de subventionnement d'une rémunération minimale des artistes, mais le passage de la totalité du personnel municipal affecté au Grand Théâtre sous statut de la fonction publique à un statut du personnel de la Fondation inquiète, à juste titre, les représentants de ce personnel et les syndicats. D'autant que comme le canton conditionne son soutien financier aux Grands Musées à leur passage d'une gestion directe par la Ville à une gestion par une fondation, les mêmes inquiétudes planent pour ce personnel.

L'élargissement de l'accès de toutes et tous à la culture ? Elle dépend essentiellement des choix budgétaires... qui au niveau cantonal sont fait par un Grand Conseil dont tous les observateurs notent que les débats sur des enjeux culturels sont, à quelques député.e.s près, d'une indigence affligeante.

Résumons :

La Constitution contient désormais une disposition prônant"une politique culturelle cohérente sur le territoire genevois", la consultation des acteurs culturels, la concertation avec les communes (et donc avec la Ville) et le cofinancement de la création artistique et des institutions culturelles par le canton et les communes (dont la Ville, forcément). Une nouvelle loi sur la culture a été adoptée par le Grand Conseil, et est entrée en vigueur. Elle reprend les objectifs de la Constitution.   Un accord entre le canton, la Ville et les communes a été passé sur la politique culturelle genevoise. Il va dans le même sens que la Constitution et la loi. Comment pourrait-il en être autrement ? Comme le dit le Conseil d'Etat lui-même dans ses commentaires de la nouvelle loi, "il n'est aujourd'hui plus possible de maintenir les compétences exclusives de communes" en matière de politique culturelle -au fait, elles n'ont jamais été "exclusives", les compétences culturelles des communes, que parce que le canton n'assumait pas les siennes... disons que toute collectivité publique genevoise doit, à son niveau et avec ses moyens, co-responsable du soutien financier aux activités culturelles. Et pas seulement aux grandes institutions (comme le Grand Théâtre ou l'OSR) qui captent l'essentiel des moyens supplémentaires, quoique congrus, que le canton accorde à la culture.

 Tout cela dit par la Constitution, la loi et l'accord est fort bien dit. Prenons donc ces textes à leurs mots -ceux des principes dont ils se réclament -et dont le Conseil municipal de la Ville de Genève, dans plusieurs textes qu'il a lui-même adopté, se réclame aussi.  L'initiative lancée par le PS ne demande rien d'autre que donner au canton les moyens de faire, partout à Genève, ce que la Ville fait déjà là où elle intervient :  revaloriser la rémunération des artistes et professionnel-les de la culture, lutter contre la précarité de très nombreuses et nombreux d'entre elles et eux, valoriser la diversité  des acteur-rices et des publics de la culture. Et garantir la mise en œuvre effective de l’initiative constitutionnelle « Pour une politique culturelle cohérente à Genève ». La moindre des choses, en somme.

Commentaires

Articles les plus consultés