Gaza : crimes de guerre, épuration ethnique... et génocide ?

 Le poids des mots, le choc des actes

La bataille de Gaza a fait plus de 54'000 morts au sein de la population civile (dont plus de 15'000 enfants), 123'000 blessés et 11'000 disparues et disparus, dont les corps se retrouvent sans doute sous les décombres d'une ville détruite. Et près de deux millions et-demi de Palestiniennes et de Palestiniens sont affamés dans la bande de Gaza, assiégée et déjà partiellement  occupée par Israël. A au moins deux reprises, des civils affamés venant chercher de quoi survivre aux points de distribution d'aide alimentaire de la pseudo-fondation CHF, sous contrôle israélien et américain, présidée par un pasteur américain évangélique, ont été pris pour cible par l'armée israélienne. Selon des chiffres confirmés par le CICR, le 1er juin, 31 personnes ont ainsi été tuées, puis 27 autres le 3 juin. A Gaza, la totalité de la population est menacée de famine et pour le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l'Homme, Volker Türk,"les Palestiniens sont placés devant le plus sinistre des choix : mourir de faim ou risquer d'être tués en essayant d'accéder à la maigre nourriture mise à disposition" par le mécanisme israélien.  Personne ne peut dire qu'il ne sait pas ce qui se passe à Gaza et que "la faim devient une arme de guerre", comme le constate le Syndic de Lausanne, Grégoire Junod. Autrement dit  que s'y commet un crime de guerre au sens du droit international. Et pour une part croissante de l'"opinion publique", d'ONG, d'institutions publiques, et pour le mouvement de solidarité avec les Palestiniens, que s'y commet au moins un "nettoyage ethnique" comme l'en accuse Médecins sans Frontières, voire un génocide. On pourrait se dire qu'après tout, peu importe que les actes du gouvernement Netanyahou à Gaza soient qualifiés, légitimement, de "crimes de guerre" (ce que bientôt ce gouvernement sera seul à contester) ou de "génocide", mais ce serait oublier le poids des mots et le choc des actes : Israël mène à Gaza ce que son ancien premier ministre Ehud Olmert qualifie de "guerre de dévastation" :  Olmert n'accuse pas son pays de commettre un génocide ? il accuse son gouvernement du "massacre aveugle, cruel, sans limites aucunes, de la population civile".  En disant les actes, la périphrase dit-elle autre chose que le mot ?

Seule la chute de Netanyahou permettra la survie de Gaza

Priver à Gaza les Palestiniens d'eau, de soins, de nourriture, et rêver de leur en faire autant dans les territoires occupés, est un crime de guerre, selon l'avis rendu le 19 juillet 2024)  de la Cour internationale de Justice. "Affamer Gaza", comme l'ancien Premier ministre d'Israël Ehud Olmert accuse aujourd'hui le gouvernement de son successeur, est un crime de guerre. Bombarder des hôpitaux, des écoles, des lieux de refuge, sont des crimes de guerre. Et ils sont prémédités. Constituent-ils le crime de génocide ? Ils le sont au moins du risque de le voir commis. La Cour pénale internationale, qui a requis des mandats d'arrêt contre le Premier ministre Natanyahou et le ministre de la Défense Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, a aussi exigé des "mesures pour empêcher tout acte de génocide " à Gaza. "Génocide", le mot est lâché, y compris par des historiens israéliens. Et il fait polémique, clivage, totem et tabou. Comme s'il était plus important de l'utiliser pour définir ce qui se passe à Gaza que de lutter pour que cela cesse. Comme si l'enjeu était dans le mot, pas dans les actes.

Un génocide est un crime consistant en l'élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle mais  toujours méthodique, d'un groupe national, ethnique ou religieux, quelle qu'en soit la taille (il n'y a pas de seuil en dessous duquel on ne pourrait parler de génocide).  Des membres du groupe, coupables du "crime d'être nés", sont, en tant que tels, tués, brisés mentalement e/o physiquement, ou rendus incapables de procréer, la vie du groupe est rendue impossible, le groupe est réduit, pour à terme, disparaître. 

Plus précisément, la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948, donne cette définition suivante du crime suprême contre l'humanité :
Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Et c'est le mot "intention" (ou "intentionnel") qui est ici déterminant : par définition, le génocide est prémédité.  Mais en rendre coupable celui dont on l'accuse (Israël, en l'occurrence) sera l'affaire de la Cour pénale internationale, puisque le génocide, crime en droit international,  ne peut être sanctionné que par un tribunal international. 

Crimes de guerre, nettoyage ethnique, risque de génocide, génocide : la Suisse officielle n'utilise pas ces mots. D'elle, à moins d'un miracle (et nous ne croyons pas aux miracles) il n'y a rien à attendre : elle est à l'image de l'insignifiance complaisante de son ministre des Affaires étrangères et, au-delà de lui, et collégialement, de tout le Conseil fédéral, invoquant la neutralité pour ne pas signer la lettre de vingt-deux Etats exigeant la fin du blocus de Gaza. Du mouvement grandissant de solidarité avec les Palestiniens (ceux de Gaza, mais aussi ceux de Cisjordanie, victimes d'une autre bataille, à bas bruit celle-là), on peut en revanche attendre ce qu'il est en train d'accomplir : qu'il délégitime le piteux repli d'Ignazio Cassis dans l'usage des truismes. Et les appels se succèdent pour en sortir : Les deux anciennes Conseillères fédérales, et Présidentes de la Confédération, Ruth Dreifuss et Micheline Calmy Rey, leur collègue Joseph Deiss et une septantaine de personnalités, dans une lettre ouverte évoquant le "soupçon que le gouvernement israélien commet un génocide contre les Palestiniens", appellent le Conseil fédéral à s'engager clairement pour le respect du droit humanitaire et un cessez-le-feu. 56 anciennes et anciens diplomates ont signé une lettre commune exigeant notamment que la Suisse condamne le  "véritable nettoyage ethnique" et le "processus génocidaire" commis par Israël en Cisjordanie et à Gaza.  Un appel lancé au Conseil fédéral par les villes de Genève et Lausanne, cosigné par une trentaine d'autres villes (y compris des villes de droite) demande au gouvernement du pays dépositaire des Conventions de Genève de s'exprimer et de s'engager diplomatiquement pour qu'elles soient respectées par un Etat qui les a aussi signées : Israël. Dépositaire d'une partie du droit international humanitaire, par les Conventions de Genève qui le fondent, la Suisse  collabore avec Israël dans de multiples domaines, veut interdire le Hamas sans dénoncer la colonisation israélienne de la Palestine, soutient le droit d'Israël à l'existence mais pas la création d'un Etat palestinien, et après avoir voulu le supprimer, réduit son soutien financier à l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, l'UNRWA et en a exclu toute aide aux Palestiniens des territoires occupés et de Gaza, 

Et puis, surtout, il y a ceci que la réponse, la solution, est en Israël : seule la chute du gouvernement Netanyahou permettra la survie de Gaza et des Gazaouis (sans celle du Hamas), et seul.e.s les Israéliens et les Israéliennes peuvent faire tomber Netanyahou et ses alliés d'extrême-droite. Et toute dénonciation des crimes de guerre, voire du génocide, commis à Gaza par le gouvernement israélien qui ne s'accompagnerait pas d'un soutien à la part de l'opposition israélienne qui partage cette dénonciation, pourrait bien ne tenir, au bout du mécompte, que d'une posture. Certes plus éloquente que le silence complice du gouvernement suisse, mais pas plus efficace dans le soutien aux victimes de la guerre menée par Netanyahou.

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