Pas férié en Suisse, le 14 juillet ? On s'en fout. Il devrait l'être.

Rêve + évolution = Révolution

De quoi pérorer un 14 juillet? De révolution, bien sûr. D'ailleurs, ce jour est, dans le calendrier patapolitique, celui de Buenaventura Durruti. Il est vrai cependant que dans le calendrier pataphysique, c'est le jour de la fête du Père Ubu, et qu'en un temps où, servi à toutes les sauces, le mot même de «révolution» semble ne plus rien signifier qui importe parce qu’il a été plus souvent utilisé pour désigner ce qui trahissait l’idée même de révolution que pour désigner la révolution elle-même, il faut bien commencer par rappeler ce qu’elle est, et en quoi nous sommes désormais si peu nombreux à croire encore: un bouleversement de la politique, des institutions et des rapports sociaux existants. Et un bouleversement pour le mieux, non pour le pire. Un bouleversement qui pense l’impensé, rend possible l’impossible.

Nous ne sommes rien. Nous pouvons donc tout.

Depuis la victoire de la révolution bourgeoise, plus aucune révolution n’a vaincu, toutes ont été écrasées, trahies, détournées -ou oubliées. Ou digérées, comme la révolution radicale-démocratique en Suisse, au mitan du XIXe siècle -la seule révolution quarante-huitarde qui ait été définitivement victorieuse. C’est que la mesure même de la victoire ou de la défaite de la révolution a changé: il s’agissait en 1789 de renverser le pouvoir d’une classe, et les institutions qui matérialisaient ce pouvoir, pour lui substituer le pouvoir d’une autre classe, avec les institutions le matérialisant. Il ne s’agit plus désormais pour la révolution de substituer une classe à une autre, d’installer un pouvoir à la place d’un autre, mais d’abolir les classes, et de se passer des pouvoirs. Ou, comme nous y invitait Michel Foucault, de ne plus se demander «comment on nous gouverne» mais «comment nous gouverner nous-mêmes».

La révolution a vaincu en Russie, parce qu’il lui suffisait de prendre le pouvoir politique central, le reste suivant faute de société civile organisée : qui prend d’assaut le Palais d’Hiver peut s’installer ensuite au Kremlin. Qui prendrait l’Elysée, la Maison Blanche, le 10 Downing Street, le Quirinal ou le Palais fédéral de Berne ne contrôlerait que leurs bureaux, leurs couloirs et leurs cantines : c’est peu, pour changer une société.
Quand règne le consentement général et la résignation commune, la désobéissance est plus qu’un droit : étant l’exception, elle est la panacée. Affaire intime autant qu’enjeu collectif, mais ne déléguant rien de notre responsabilités à d’autres, elle remédie à nos compromissions, nos complicités, nos aplaventrissements et nos routines. Irréductible et irremplaçable, elle renvoie au premier mot par lequel le dernier préhominien est devenu le premier humain : « non ! ».


La liberté n'a-t-elle plus de nom
elle qui chaque matin était plus belle,
comme une femme qu'on aime
est plus jeune chaque matin.

La liberté qui faisait crouler les châteaux
et qui faisait lever les faux, et battre les fausses justices,
la liberté n'a-t-elle plus de non pour toi, ce matin ?

(Edith Thomas, dans «Les Lettres françaises» n°8, juillet 1943

Nous serons toujours moins radicaux que le moment dans lequel nous sommes. Ne vouloir qu’être maître à la place du maître, c’est se contenter d’un changement de maître. Ne vouloir qu’être « comme le maître », ou posséder ce que le maître possède, c’est rester esclave -et esclave envieux.
Nous ne sommes rien. Nous pouvons donc tout.

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