Accords entre la Suisse et l'Union Européenne : Le peuple décidera

On a fini, à la mi-juin, par pouvoir prendre connaissance du paquet de projets d'accords entre la Suisse et l'Union Européenne. Un temps nécessaire à sa traduction, explique le Conseil fédéral, qui ne l'avait dans un premier temps rendu accessible qu'à une poignée d'élus, qui avaient eu le droit de le lire dans une pièce du Palais fédéral, mais pas celui d'en photographier des passages. Le projet ayant finalement été rendu public le vendredi 13 juin (Une lecture de vacances de 1890 pages annexes comprises), l'UDC a saisi l'occasion d'évoquer, sur le ton de Jean-Pascal Delamuraz après le refus de l'adhésion de la Suisse à l'Espace Economique Européen, un "vendredi 13 noir pour la Suisse". Pas moins. La consultation sur le paquet est ouverte jusqu'à fin octobre, après quoi le Conseil fédéral présentera un projet définitif aux Chambres fédérales. Dont la décision finale, très vraisemblablement favorable aux accords, sera évidemment combattue par un référendum lancé par l'UDC. Le peuple, donc votera le même jour sur 95 actes législatifs européens et 35 lois suisses... 

Trump, meilleur propagandiste d'un accord de la Suisse avec l'Union Européenne (qu'il déteste) ?

Si les accords sur lesquels il sera certainement appelé à voter devaient être approuvés par le peuple suisse, la Suisse s'engagerait à reprendre l'évolution du droit européen ou, si elle s'oppose à telle ou telle reprise spécifique, verser à l'UE une taxe compensatoire. C'est surtout cela qui fait hurler l'UDC. Pour le reste, la contribution de la Suisse au soutien européen aux Etats européens en retard de développement passerait de 130 à 350 millions en 2029 pour sept ans. La Suisse a obtenu une clause de protection des salaires suisses, ce qui était une revendication des syndicats, mais pas que les frais versés aux employés d'entreprises étrangères travaillant en Suisse soient alignés sur les normes suisses, ce qui était aussi une revendication syndicale. La Suisse a aussi obtenu une "clause de sauvegarde" anti-immigration en cas de "graves problèmes économiques et sociaux", que le texte ne définit d'ailleurs pas, mais un ressortissant de l'Union Européenne pourrait obtenir un droit de séjour permanent après un travail de cinq ans en Suisse, sans aide sociale. Enfin, les universités suisses réintégreraient les programmes européens de recherche (Horizon, Erasmus), mais les écoles polytechniques ne pourraient pas taxer les étudiants européens plus lourdement que les étudiants suisses -ce que revendiquaient EPFL et EPFZ... Comme on le voit, le "paquet" d'accord contient de quoi satisfaire beaucoup de monde, mais en décevant beaucoup de monde aussi. Ce qui ne présage en rien de son destin devant le peuple -parce que l'opposition fondamentale, principielle, de l'UDC à tout accord avec l'abominable Europe n'est dissolvable dans aucun projet d'accord, et que rien, dans ce qui sera proposé au peuple, n'est vraiment de nature à convaincre les syndicats de s'y rallier. 

Ainsi, d'entre les accords négociés avec l'Union Européenne, celui sur l'électricité (qui ne fait pas partie du "paquet" mais sera sans doute en même temps soumis au référendum facultatif) provoque un âpre débat entre les grands groupes énergétiques et l'Union Syndicale, personnifiée par son président Pierre-Yves Millard qui dénonce la libéralisation négociée du marché de l'électricité, porteuse d'une double menace : une hausse des tarifs pour les consommateurs et un risque accru de black-out. L'accord sur l'électricité prévoit l'intégration de la Suisse au marché européen de l'électricité, le libre choix du fournisseur par les ménages, avec la possibilité pour ceux qui auraient choisi un opérateur privé de revenir à un opérateur public, dans un système régulé, mais avec un délai d'attente ou des frais. Le président de l'Union Syndicale et sénateur socialiste considère que dans un marché de l'électricité libéralisé, les producteurs limitent l'offre pour pouvoir imposer des prix élevé : on produit pour faire du profit, pas pour assurer l'approvisionnement, ce qui accroît le risque de pénurie et réduit les possibilités d'investissement dans les énergies renouvelables. Pour  Pierre-Yves Maillard, cet accord est donc une "catastrophe écologique", de frein à la transition énergétique et à l'investissement dans les énergies renouvelables -ce que démentent les grands groupes énergétiques. Le débat se durcit également au sein du PS, entre Pierre-Yves Maillard (par ailleurs Conseiller aux Etats) et les europhiles, incarnés par le Conseiller national Eric Nussbaumer, président du Mouvement Européen suisse, pour qui "c'est effrayant ce qui se raconte à l'extrême-gauche de la social-démocratie" (puisque c'est là qu'il situe Pierre-Yves Maillard...), avec une "combinaison d'ignorance en matière d'économie énergétique et de mauvaise foi pour dénigrer le projet européen". Nussbaumer est notamment appuyé par l'ancien Conseiller national Roger Nordmann, qui accuse son camarade et compatriote vaudois Maillard de mentir, et par l'actuel Conseiller national Jon Pult.  Ambiance...

L'ensemble du paquet d'accord (95 actes législatifs européens, 35 lois suisses) devrait coûter un milliard par an à la Suisse : le prix du ticket d'entrée sur le marché européen et dans les programmes universitaires. Il sera soumis au référendum facultatif, et au vote du peuple, le Conseil fédéral ayant préféré cette procédure à celle d'un référendum obligatoire avec un vote à double majorité du peuple et des cantons, qui renforçait le risque d'un refus, le camp des opposants dominant le débat public... jusqu'à ce que le résultat de la guerre douanière lancée par Trump ait changé la donne : partie seule au combat, la Suisse se retrouve taxée deux fois et demie plus lourdement que si elle avait fait cause commune avec l'Union Européenne...

Trump, meilleur propagandiste d'un accord de la Suisse avec l'Union Européenne (qu'il déteste) ? Décidément, on aime l'ironie de l'histoire... mais l'ombre de l'idiot utile étasunien ne suffira ne suffira pas à nous convaincre de soutenir le "paquet"et les accords spécifiques qui l'accompagnent. 


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