De Varsovie à Gaza : D'un ghetto l'autre ?
A l'heure où on écrit ce que vous lisez, l'armée israélienne s'apprête à investir une ville qu'elle a déjà pratiquement détruite. : Gaza. Il y a huit ans, la comparaison nous avait paru s'imposer, d'un ghetto l'autre. De Varsovie à Gaza. Ce nous fut reproché (pour dire le moins), mais ce n'était pas une analyse historique, cela tenait du sentiment, de l'impression, du ressenti face à deux images mises côte à côte, celle du ghetto de Varsovie et celle de Gaza encerclée. Il y a huit ans, Israël avait fait, par le blocus, de Gaza un ghetto (où le Hamas prospérait) : il n'y avait pas de projet, du moins explicite, d'extermination, de déportation massive, d'épuration ethnique. On confinait, on enfermait, on ne massacrait pas. Aujourd'hui, on massacre. On bombarde des hôpitaux, des écoles, des édifices religieux. On rase. On cible et on abat des humanitaires. A Gaza, porter un gilet avec la mention "Press" équivaut à porter une cible et se faire cible. A Gaza, tenter d'accéder à une aide alimentaire, c'est risquer sa vie.
אם אין אני לי, מי לי; וכשאני לעצמי, מה אני; ואם לא עכשיו, אימתי *
Gaza n'est pas Varsovie. On laissera à d'autres la pratique de l'amalgame -celui, en l'occurrence, de l'antisionisme à l'antisémitisme : outre qu'il passe sous silence l'antisémitisme sioniste ("débarrassons-nous des juifs, envoyons-les en Palestine, qu'ils se débrouillent avec les arabes"...), il rend tout débat impossible puisqu'il vise à criminaliser le point de vue antagonique. "L'antisionisme est une forme contemporaine d'antisémitisme, car c'est appeler à l'éradication de l'Etat juif", résume dans la "Tribune de Genève" du 11 août le Secrétaire général de la CICICAD. Il ne semble pas qu'il lui vienne à l'idée qu'appeler à l'abolition d'un Etat, ce n'est pas appeler à l'extermination d'un peuple (ou alors, tout anarchiste serait génocidaire ?), c'est seulement renoncer à une construction politique. S'opposer à un nationalisme. A un pouvoir politique. A un gouvernement, comme celui qui mène au pas de charge Israël et son peuple, toutes composantes confondues, juifs et non juifs ensemble, dans une impasse dont on se demande désormais s'ils pourraient s'extirper autrement que pour rejoindre Oradour ou Massada. Choisir l'extermination des Palestiniens ou le suicide collectif d'Israël, ce ne sont pas les antisémites qui y condamnent Israël, c'est le gouvernement d'Israël.
"Ce qui a commencé (comme une réponse au pogrom du 7 octobre) a fini par devenir de plus en plus de la vengeance (...). Nous vivons un moment dangereux, où l'on est désormais bien au-delà de la vengeance" (David Grossman) : User de l'arme de la faim, c'est ce qui se fait à Gaza comme c'est ce qui se fit à Varsovie. Mais à Varsovie, c'était pour que les Juifs crèvent sur place, quand à Gaza,c'est pour que les Palestiniens s'enfuient. Qu'ils se dispersent. Qu'ils cessent d'être un peuple pour n'être plus que des populations éparses. Qu'ils ne puissent faire nation. C'est bien la différence entre le génocide et l'épuration ethnique -mais c'est la différence entre deux crimes dont le second peut bien mener au premier.
Notre vieux camarade Dan Gallin, qui nous a quitté il y a quelques semaines, écrivait : "Nous sommes aux côtés des Juifs. Pas avec Netanyahou, qui est une petite crapule et devrait être en prison. (...) Nous sommes aux côtés de nos camarades du mouvement syndical juif. Nous honorons la mémoire du Bund, le parti du prolétariat juif en Europe de l'Est (...), le seul parti de masse socialiste de l'histoire à avoir été détruit, non parce que ses dirigeants ont été emprisonnés ou tués, mais parce que ce sont ses membres mêmes qui ont été exterminés. (...) Et nous rendons hommage à la gauche sioniste qui s'est battue avec le Bund et les sionistes travaillistes dans le ghetto de Varsovie et qui, après la guerre, a été la première à préconiser une solution à deux Etats pour une coexistence fraternelles avec les Arabes de Palestine". Pour le dire aussi clairement que possible, nous voulons que la canaille antisémite sache, quelle qu'elle soit et où qu'elle se trouve, que nous sommes debout à côté des Juifs". Dan Gallin parle du "peuple juif", pas de l'Etat d'Israël. Et proclame que "nous sommes debout, à côté des Juifs" face aux antisémites, pas "à côté du gouvernement" israélien face aux Palestiniens.
Des voix juives s’expriment clairement, et qualifient de « génocide » ce qui se passe à Gaza. Ces juives et ces juifs, de culture ou de religion, d’héritage ou de foi et de pratique religieuses, sont elles et ils antisémites ? Ils nous est évident qu'elles et ils sont les détenteurs et les défenseurs d'une culture juive (comme nous le sommes nous même d'une culture chrétienne sans cesser d'être athées et anticléricaux)... Antisémite, David Grossmann, qui a dénoncé un "génocide" en cours à Gaza ? Antisémite, ou traître, Metin Arditi qui considère que "la diaspora n'a pas à être au simple service d'Israël" ? Antisémites, ou complices du Hamas, les trois anciens patrons du Mossad, les cinq anciens dirigeants du Shin Bet (dont Ami Avalon, pour qui "cette guerre a cessé d'être une guerre juste") et les trois anciens chefs d'état-major de Tsahal, qui en appellent... à Donald Trump pour qu'il contraigne Netanyahou à cesser le feu ? Antisémites, les seize juristes israéliens, spécialistes en droit international, dénonçant le projet de concentrer la population de Gaza dans une "ville humanitaire" (le nouveau nom d'un ghetto) ? "Antisémites", les milliers de manifestants, appelant le 17 août en Israël à un cessez-le-feu ? "Antisémite", en tout cas, évidemment, l'ONU et ses agences, et la Cour pénale internationale, qui alertent sur les crimes de guerre et le "risque de génocide" à Gaza. Et antisémites, sans nul doute, ceux qui dénoncent la liquidation de six journalistes gazaouis d'Al Jazeera par Israël (qui admet avoir ciblé l'un d'eux, Anas Al Sharif), qui s'ajoutent aux sans doute plus de 250 journalistes et photographes de presse tués par les forces israéliennes à Gaza.
Le Secrétaire général de la CICAD dit vouloir lutter contre l'"invisibilisation de l'antisémitisme":.. mais quelle "invisibilisation" ? L'antisémitisme, il le voit et le dénonce partout, y compris où il n'est pas. Voudrait-il le rendre "visible" comme les antisémites judéophobes voulurent le rendre "visible", ce juif sournois qui ressemble à n'importe quel goy, et pour qu'on le reconnaisse, lui faire porter une étoile jaune, organiser des expositions (genre "le Juif et la France") , tamponner son passeport d'un J, comme la Suisse l'exigea -et l'obtint des nazis- pour les Juifs allemands et autrichiens ?
Voir de antisémitisme partout, c'est ne plus pouvoir, ou ne plus vouloir, le voir là où il est réellement. C'est se rendre incapable de le combattre pour ce qu'il est -et non ce pour quoi le gouvernement d'Israël veut nous le faire prendre.
* « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si
je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant,
quand
? »
(Hillel
Hazaken, Pirke
Avot 1:14 )
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