Trump, les taxes, la Suisse, le commerce mondial : Fort avec les faibles, faible face aux forts

La Fête nationale suisse a été, cette année, une fête aux taxes douanières : les Etats Unis annoncent qu'ils imposent à la Suisse 39 % de droits de douane. Et la Suisse se retrouve le quatrième pays au monde le plus taxé par les USA. Merci de l'honneur -qu'elle avait pourtant bien tenté de ne pas mériter : elle avait même envoyé la présidente de la Confédération, Karin Keller Sutter, et le ministre de l'Economie, Guy Parmelin, tenter de convaincre l'égocentrique président des Etats Unis de ne pas lui décerner ce titre : taxer la Suisse plus que la Chine, c'est pas des choses à faire entre amis. Parce que, voyez-vous, les USA et la Suisse sont des amis. Sauf que Trump, lui, n'a qu'un ami : lui-même. Fort avec les faibles (la Suisse), conciliant avec les moins faibles (l'Union Européenne), faible avec les forts (la Chine, la Russie), Trump est un fier-à-bras. Ce qui ne le rend pas moins dangereux pour autant. Résultat : La Suisse se retrouve taxée à 39 % de droits de douane sur ses exportations aux USA, avec, en prime et au terme d'une autre négociation foireuse, un surcoût de 25 % sur les avions américains F-35 qu'elle avait décidé d'acheter et auxquels son gouvernement ne veut pas renoncer. "Le Conseil fédéral rampe mieux qu'il ne négocie, éditorialise "L'Illustré", sur le ton de Swift : "L'ambition fait accepter les fonctions les plus basses et c'est ainsi que l'on grimpe dans la même posture que l'on rampe".

Les taxatrump entravent le commerce mondial ? Tant mieux !

Accablée de louanges avant d'être confrontée au fétichisme trumpiste des taxes douanière, la présidente de la Confédération Karin Keller Sutter s'est pieusement inclinée devant le locataire de la Maison Blanche. On s'est longtemps demandé quelle pouvait bien être la stratégie mise en oeuvre pour en arriver à ce piteux résultat, et on a peut-être trouvé : pas de stratégie mais une prescription biblique : "Mais je vous le dis, à vous qui oyez : Aimez vos ennemis; faites bien à ceux qui vous veulent mal, bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous font tort. Qui te frappera sur une joue, pare-lui encore l'autre; et qui te voudra ôter ton manteau, ne l'engarde point de prendre même ton hopqueton" (Luc 6, 27-29, dans la traduction Castellion). 

Il paraît que Trump aurait été fort marri d'entendre au téléphone la présidente suisse lui expliquer pendant une demie-heure les lois et les fonctionnements macro-économiques, notamment la différence entre un déficit commercial et une perte, et il aurait fait savoir à qui veut l'entendre qu'il ne veut plus jamais avoir affaire à cette "donneuse de leçons" qui prétend lui apprendre quelque chose, lui qui sait tout sur tout. Il n'aurait pas non plus apprécié qu'elle lui rappelle un protocole d'accord déjà discuté entre le Conseil fédéral et des négociateurs américaine : "je m'en fous d'eux", aurait asséné Trump : seul lui peut négocier (ou plutôt marchander) quoi que ce soit. Et de résumer sa position par cette question : "qu'est-ce que vous me payez ?". Car Trump s'achète -et donc se vend. Le plus cher possible : non à ce qu'il vaut, mais à ce qu'il s'estime lui-même. Pour l'Union Européenne, le prix a été une promesse de 600 milliards de dollars d'investissements aux USA. Une promesse qui ne sera certainement pas tenue, mais peu importe : l'avoir fait comble d'aise celui à qui elle est faite, et qui croit qu'il la vaut. Du coup, les 150 milliards servilement promis par les entreprises suisses faisaient pâle figure. 

L'ambassadeur de l'Union Européenne en Suisse, Petros Mavromichalis, susurre : "ce qui est clair, c'est qu'on a moins d'atouts en main pour négocier quand on est petit et seul"... De plus petits que la Suisse s'en sortent mieux qu'elle... parce qu'ils ne sont pas seuls. Le Liechtenstein, par exemple. Et l'ambassadeur européen d'enfoncer le clou : "Les droits de douane américains démontrent une fois de plus que l'UE est le meilleur partenaire et le plus fiable pour la Suisse"...

Les Taxatrump entravent, ou vont entraver, le commerce mondial ? Tant mieux, si cela peut éclaire sur la réalité et les conséquences de ce commerce, et de la mondialisation capitaliste (qui n'a, évidemment, rien à voir avec l'internationalisme socialiste).

« Par son exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a rendu cosmopolites la production et la consommation de tous les pays. Pour le plus grand regret des réactionnaires, elle a retiré à l’industrie sa base nationale », jubilaient Marx et Engels dans le Manifeste Communiste. De ce point de vue, qui est aussi le nôtre, tout ce qui peut casser les frontières, constituer au-dessus, au-dessous, à côté d’elles,  des liens de solidarité et de réciprocité, une conscience commune et des luttes communes, est bon à prendre : les enclos sont faits pour le bétail, pas pour les citoyens.

Cependant, si la mondialisation capitaliste à l'époque de la révolution industrielle a accouché de la mondialisation de la démocratie bourgeoise, elle n’a nullement accouché d’une pacification du monde, et le capitalisme mondialisé reproduit dans son propre processus de décision des méthodes et un esprit qui sont ceux de l’Ancien Régime : l’opacité, le secret, la confidentialité, la pratique monarchique des ukases, des lettres de cachet et des cabinets noirs. 

La mondialisation ne se joue pas dans les limbes : elle se joue là où nous sommes, dans ce que nous sommes : dans un monde fini, non pas au sens de « terminé », mais au sens de « limité ». Un monde qu'on ne peut fuir, mais qu’on peut changer. La mondialisation se joue à nos portes, dans le bureau de poste que l’on ferme pour rentabiliser ce qui fut un service public ; dans un service de transports publics qu’on privatise parce qu’il est rentable, ou qu’on supprime parce qu’il ne l’est pas ; dans une retraite par capitalisation dont on baisse les taux de conversion du capital en rentes parce que les fonds qui l’alimentent ont été placés dans des actions dont les cours se sont effondrés ; dans une saloperie que l’on mange ou boit, entend ou voit, fait ou lit.

Puisque tout est ou risque d’être soumis au totalitarisme du marché, tout peut être le lieu d’une résistance et d’une alternative au marché. Le détournement des révolutions du XIXème siècle pouvait s’écrire par le mot de Tancrède au Guépard : Il faut tout changer pour que rien ne change ; on n'en est plus là : aujourd'hui,  Il faut tout changer pour pouvoir changer quelque chose.





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