Asile : Le protecteur désarmé

 

Le Haut Commissariat de l'ONU pour les Réfugiés dans la tourmente

La guerre d'Ukraine a remis au coeur des préoccupations européennes la question, non de l'immigration en général, mais de l'asile -les requérants d'asile ne constituant, tous ensemble, dans le monde entier, qu'une part très minoritaires des immigrants. Et la bataille de Gaza ne fait qu'ajouter, par la menace de plus en plus précise d'une déportation de masse (s'ajoutant à celle d'une épuration ethnique de la Cisjordanie) à l'urgence d'une réponse à cette question -qui ne date pourtant ni de cette guerre, ni de cette bataille, mais dont les termes sont aujourd'hui parasités par un contexte politique de montée de la xénophobie, du racisme, du repli "identitaire". Et c'est précisément dans ce contexte qu'une échéance est annoncée : celle de la succession, à la tête du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, de Fillippo Grandi, qui avait lui-même succédé à l'actuel Secrétaire Général des l'ONU, Antonio Guterres. Or la situation du HCR s'est considérablement fragilisée depuis que le président des Etats-Unis s'est mis à tailler dans les contributions étasuniennes aux institutions onusiennes et qu'Israël les a quasiment interdites à Gaza. La Maire de Paris, Anne Hidalgo, est officieusement candidate à la tête du HCR, soutenue par Macron qui, paraît-il, lorgne sur le Secrétariat général de l'ONU (il ne sera plus président dans deux ans...), mais l'état dans lequel le ou la successeur.e de Fillipo Grandi a trouvé le HCR lui laissera peu d'espoir de concrétiser l'espoir proclamé de l'institution : "un monde où chaque personne contrainte de fuir peut se bâtir un avenir meilleur", quand  dans le monde tel qu'il est, le migrant et la migrante, le requérant et la requérante d'asile, le réfugié et la réfugiés, menacés dans leur pays, redeviennent des boucs-émissaires. Et où leur protecteur, le HCR, est désarmé.

Les causes de la migration se moquent bien des régimes légaux

La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, qui fonde le droit d'asile en droit international, prévoit qu'un Etat doit accorder le statut de réfugié.e aux personnes qui en font la demande. Mais la réalité est loin de cette promesse. L'ONU alerte : Il y a (au moins) 13 millions de personnes déplacées (dont 6,3 millions d'enfants,) menacées d'être privées de toute assistance sanitaire vitale. Autrement dit : menacées de mort. La Convention de 1951 accorde le statut de réfugié à toute personne "craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité (...) ou de ses opinions politiques". Elle est un héritage de la fin  de la guerre mondiale, et des trente millions d'Européens déplacés depuis la prise du pouvoir par les nazis -autrement dit : avant, pendant et après la guerre. Les réfugiés à qui elle accorde un statut sont donc d'abord, et au départ presque exclusivement, des réfugiés européens dans des pays européens, et elle ne s'appliquera à tous les réfugiés qu'à partir des années soixante et de la multiplication des conflits nés de la décolonisation -mais aussi de celui né de la création de l'Etat d'Israël et de l'exil forcé de centaines de milliers de Palestiniens.

La grande majorité des migrants le font légalement. Et une partie notable d'entre eux ont l'intention de revenir au pays natal à la fin de leur vie professionnelle -ils pourront souvent y croiser des ressortissants du pays où ils avaient émigré, désormais établis dans le pays que les migrants avaient quitté : des dizaines de milliers de Suisses se sont établis en Espagne, au Portugal, en France après leur retraite, des dizaines de milliers se sont installés à l'étranger pour des raisons professionnelles. La migration ne va pas dans un seul sens, du sud vers le nord et de l'est vers l'ouest : l'espèce humaine est depuis toujours une espèce migrante (sinon on ne la rencontrerait qu'en Afrique), qui migre partout où elle peut. Et même là où elle ne peut pas.

Aux USA, Trump veut pouvoir expulser un million d'immigrants par an. En août le service de l'immigration et des douanes (ICE) a arrêté 800 personnes par jour (en juin, il en avait arrêté 1200 par jour), et l'administration promet 3000 arrestations par jour. Dans un Etat créé par des immigrants et des envahisseurs, des propriétaires d'esclaves africains et des génocidaires d'Amérindiens. Mais, au USA comme ailleurs, durcir les conditions d'immigration légale ne fait jamais que renforcer l'immigration illégale, le séjour et le travail clandestins, freiner l'intégration des immigrants, dégrader les conditions de séjour (logement, soins) de la population concernée. A quoi aboutissent la fermeture des frontières, les expulsions,  et le "durcissement" des conditions d'obtention du droit d'asile ? A rien, sinon à enrichir les réseaux de passeurs. Car les causes de la migration, elles, se moquent bien des régimes légaux : la guerre, le chômage, la misère, la destruction de l'environnement, l'oppression, ne disparaissent pas quand les patrouilles de garde-frontières se renforcent.

Le PS s'est doté de son propre programme en matière d'asile. Un programme fondé sur deux piliers : l'accueil et l'intégration. Et sur  un refus de "toute tentative de limiter l'accès à l'asile en Suisse". Le PS veut que soit revu le statut, bancal et précaire, de l'admission provisoire (permis F) pour le rapprocher le plus possible, voire l'identifier, au statut de réfugié. Les socialistes demandent en outre l'augmentation des moyens consacrés à l'aide humanitaire et la coopération au développement, dans les pays d'émigration. Ils refusent la fermeture des frontières, proposent l'ouverture à travers elles, et jusqu'en Suisse,  de "corridors humanitaires" pour les réfugiés les plus vulnérables,  et demandent l'assouplissement des conditions d'octroi des visas humanitaires.  Mais un tel programme, un tel discours, la gauche et les associations et les mouvements d'entraide et de solidarité avec les migrants sont bien seuls à le tenir

Avec la guerre en Ukraine, on est, en Europe, passé (au moins dans un premier temps) de l'évocation de la "crise des migrants" à l'invocation de la "solidarité avec les réfugiés". Du moins avec ceux qui nous ressemblent.Les hommes et les femmes qui se trouvent depuis dix, vingt ou trente ans, ou plus encore, dans un pays qui n'est pas celui de leur naissance, sont-ils toujours des migrants ? Ce sont sans doute des immigrés, mais ils ne migrent plus : là où ils sont, là où ils vivent, là où ils travaillent, là où ils consomment, là où ils agissent socialement et parfois politiquement, c'est chez eux. D'autant plus si c'est dans un pays qui a besoin  d'eux pour faire tourner son économie, maintenir ses standards sociaux, cotiser à sa sécurité sociale (en Suisse, à l'AVS...) et équilibrer sa structure démographique. Mais aussi, dans un pays qui fait examiner en détail l'appareil génital des jeunes requérant.e.s d'asile pour s'assurer qu'ils sont bien mineur.e.s, et donc mieux protégés que les requérant.e.s majeur.e.s... du moins si l'Etat dans lequel ils se sont retrouvés respecte leurs droits.

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