Budget déficitaire de la Ville de Genève : Le coût municipal des cadeaux cantonaux

Le Conseil administratif de la Ville de Genève a présenté mercredi son projet de budget 2026 (avec l'opposition publique de la seule représentante de droite à la Municipalité). Ce projet affiche un déficit de 62 millions, 18,8 millions de plus que prévu dans le plan de retour à l'équilibre. Ce déficit est à peine plus élevé que ce que la Ville a perdu (53 millions)  du fait des derniers cadeaux fiscaux accordés par le canton aux contribuables aux revenus les plus élevés et aux plus grandes entreprises. Sans même évoquer ce qu'elle risque encore de perdre en sus (50 millions) si le canton arrive à ses fins en faisant payer aux communes, à commencer par la Ville, 20 % de sa contribution à la péréquation intercantonale. Ce à quoi les communes (de droite comme de gauche s'opposent, puisque certaines d'entre elles devraient y consacrer jusqu'à 10 % de leur budget, comme si elles étaient des chaloupes de sauvetage pour le canton. Le "Grand Argentier" de la Ville, Alfonso Gomez, se dit "optimiste : les députés sont plus raisonnables que le Conseil d'Etat"... Euh... pas vraiment, sinon, on n'aurait pas à voter dimanche sur des "lois corsets" déraisonnables... Disons qu'il est diplomate, Alphonse...

Un déficit budgétaire ? On ne sonnera ni le glas, ni le tocsin...

On ne va ni sonner le glas, ni sonner le tocsin parce que le Conseil administratif de la Ville prévoit dans son projet de budget un déficit de 62 millions, qui aurait presque été absorbé par les recettes si elles n'avait pas été réduites par les cadeaux fiscaux cantonaux. Ni glas, ni tocsin, dont. D'abord, parce qu'un projet de budget n'est pas un budget, et qu'il doit encore passer par un examen en commissions -dont celle des Finances, dont c'est le temps de gloire- puis en séance plénière du Conseil municipal, et peut-être devant le peuple s'il contient des éléments susceptibles d'être combattus en référendum. Ce qui fut le cas de deux budgets successifs lors de la pénultième législature, le Conseil municipal de l'époque étant déjà à majorité de droite et cette majorité ayant accouché d'un budget inacceptable à force de coupes dans des dépenses indispensables. Ensuite, parce qu'un projet de budget, puis un budget, ne sont que des autorisations de dépenses fondées sur des hypothèses de recettes, et que la situation réelle de la collectivité publique n'est donnée que par ses comptes. Enfin, parce que le budget de la Ville de Genève n'a rien de somptuaire : il est  inférieur à celui de la Ville de Lausanne, qui a un tiers de population en moins que celle de Genève... Certes, le budget culturel de la Ville de Genève est le plus élevé de tous les budgets culturels des villes suisses, mais c'est parce que le budget culturel du canton de Genève est le plus bas des budgets culturels des principaux cantons suisses.

Ce qui doit compter pour nous, c'est que les engagements pris lors des élections municipales soient tenus, et qu'on ne nous demande pas de les passer par pertes et profit. Parce que c'est quoi, les autorisations de dépenses qui constituent la colonne des charges dans le budget ? C'est autoriser la collectivité publique -la Ville de Genève, en l'occurrence, à financer sa politique. Et pour nous, à financer l'action sociale, la création culturelle, et les services publics qui sont précisément l'instrument par lequel notre commune peut lutter contre les inégalités, la précarisation, l'impossibilité d'exercer des droits. Le Conseil administratif (sauf sa membre de droite, donc) explique qu'il a "décidé de maintenir une politique de la petite enfance volontariste et des investissements importants en raison notamment de la densification de la ville". Que contient alors son projet ? il créée 121 nouvelles places de crèches en poursuivant le processus de municipalisation du secteur de la petite enfance, que la droite combat depuis qu'il a été engagé, et en engageant le personnel supplémentaire (70 postes) pour assurer une offre suffisante, qualitativement et quantitativement, et répondre aux besoins croissants d'accueil préscolaire. C'est un premier bon point. Il augmente les aides financières accordées par le service social. C'est un deuxième bon point. Et les mécanismes salariaux de la fonction publique municipale sont maintenus (contrairement à ceux de la fonction publique cantonale), comme les investissements (180 millions) pour "adapter le territoire au dérèglement climatique et concrétiser la transition écologique et énergétique", notamment en rénovant les immeubles appartenant à la Ville.

Dans sa réaction au projet de budget, l'Union populaire  (pour qui, cependant, "le Conseil administratif n'en fait pas assez pour répondre à l'urgence sociale et écologique" -comme s'il pouvait en faire plus dans le contexte institutionnel et cantonaliste genevois) rappelle que le canton de Genève est l'un des plus inégalitaires de Suisse, que les fortunes ont augmenté en une année, 2024, de 9 % en Ville de Genève, alors même qu'elle abrite la majorité (46 sur 84) des sous-secteurs où les revenus médian des habitants sont les plus bas du canton. Les primes d'assurance-maladie vont augmenter de 3 % à Genève. La tendance est aussi à l'augmentation des loyers, et, d'une manière générale, du coût de la vie -mais pas des salaires de la grande majorité des salariés du secteur privé.  C'est à cette aune que doit se mesurer le projet de budget municipal genevois;  à cette aune, pas à une arithmétique comptable : s'il maintient, voire renforce les engagements culturels, sociaux, environnementaux de la Ville, ce budget méritera d'être défendu. En commission, en plénière, devant le peuple. S'il y a recul de ces engagements, il méritera d'être combattu. En commission, en plénière, devant le peuple. 

On peut faire confiance à la droite municipale, aléatoirement coagulée de l'UDC aux Verts libéraux, pour refuser d'entrer en matière sur le projet, ou ne l'accepter que pour le dégrader le projet, voire le rendre inacceptable. Comme d'habitude depuis 40 ans, elle se dit "inquiète". Et comme dans la plupart des législatures municipales depuis un siècle, elle est majoritaire au Conseil municipal.  Et alors ? La vie politique municipale ne s'arrête pas au soir de l'adoption d'un mauvais budget, et on a beau nous seriner depuis la naissance de la commune moderne que l'adoption d'un budget est l'acte essentiel d'un parlement, l'expérience qu'on peut en avoir après avoir siégé pendant seize ans au Conseil municipal nous a suffisamment enseigné que le moment budgétaire proclamé comme le plus important était surtout le plus chiant. Et certainement pas le plus décisif : on a une année ensuite pour proposer des crédits extraordinaires hors budget...

La droite refuserait le budget 2026 ? Elle accoucherait d'un budget coupant dans les dépenses sociales, culturelles, environnementales ? On lancerait un référendum, et on le gagnerait (comme lors des derniers exercices de ce genre). Et dans l'un ou l'autre cas, la Ville ne serait pas sans budget pour autant : elle fonctionnerait avec le budget 2025 découpé en tranches mensuelles. Et le budget 2025, c'était le budget de la gauche... 

Enfin, il y a la proposition qui fâche -ce qui signale son importance : celle d'une hausse d'impôt (municipal, en l'occurrence) : Le budget est déficitaire ? On veut l'équilibrer ? Il y a un moyen bien simple : augmenter le taux de centimes additionnels, autrement dit l'impôt communal. La gauche aura-t-elle le courage de faire la proposition de cette augmentation ? Un léger doute nous nimbe... Un impôt progressif en fonction du revenu, c'est pourtant dans tous les programmes et toutes les propositions fiscales de la gauche depuis plus d'un siècle, non ? La gauche tient, sur l'impôt direct (celui sur le revenu),  et donc sur les budgets publics qu'il finance, un discours constant : il est à la fois le moyen de financer des prestations publiques et le moyen de réduire les inégalités de ressources. Cette double fonction qu'on lui assigne, celle de financement et celle de redistribution a pour corollaire que le niveau de l'impôt est déterminé par la réalité sociale, et que quand la population a besoin de prestations supplémentaires, ou d'un renforcement des prestations existantes (et nous sommes précisément dans une telle situation,) une augmentation de l'impôt se justifierait par le besoin de financement supplémentaire. Et quand les inégalités sociales se renforcent, une augmentation de l'impôt se justifie par le besoin de réduire ces inégalités. Et on y est aussi. 

Accepter, en nos temps de crise, d'augmenter un peu la pression fiscale directe, cela procède de la même démarche et de la même intention: réaffirmer les deux fonctions de l'impôt : celle qui finance les prestations à la population, celle qui réduit les inégalités sociales. Une augmentation de l'impôt direct se justifie donc aujourd'hui là où elle est concevable (et elle l'est en Ville de Genève). D'ailleurs, elle est constamment proposée par le parti socialiste cantonal genevois et ses députés au Grand Conseil -avouez qu'il serait assez farce que le parti socialiste municipal et ses élus au Conseil municipal n'osent pas en faire autant... Une hausse de l'impôt direct cantonal serait bienvenue, et une hausse de l'impôt direct communal serait taboue ? Refuser de proposer en Ville ce qu'on propose au canton, aurait un sens ? Laisser les habitants de la Ville choisir entre une prudente hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations, c'est une démarche claire, cohérente, dont on n'a pas à avoir peur. 

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