Chute de François Bayrou... et alors ? alors rien...
Le gouvernement Bayrou est tombé, comme prévu (et même comme attendu, quoique la chute ait été plus lourde que prévu : il n'a obtenu la confiance que de 194 député.e.s contre 364 la lui refusantr ce qui signifie qu'une partie du "bloc central", supposé le soutenir, l'a lâché), et alors ? alors rien. On continue comme avant Bayrou, comme avant Barnier, comme avant Attal, comme avant Borne. Bayrou est le premier chef de gouvernement à tomber sur un vote de confiance, provoqué, forcément, par lui même. Un nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, un homme de droite jusqu'alors ministre des Armées, et plus macroniste que l'était Bayrou, a été désigné par le président et va former un nouveau gouvernement, qui se présentera devant un parlement où il ne disposera pas plus que Bayrou d'une majorité puisque ce parlement est toujours sans majorité, et on comptera les jours qui s'écouleront entre la nomination et la chute de ce gouvernement. En saura-t-on plus après la journée d'aujourd'hui, annoncée comme un jour de blocage général ? Peut-être. Ou peut-être pas. On en saura plus passées cette journée puis celle du 18 à l'appel des syndicats. Parce que là, peut-être, ce ne seront plus les marionnetistes politiciens qui seront à la manoeuvre, mais, peut-être, le peuple qui sera dans la rue.
Le peuple, lui, n'est pas encore entré dans le jeu
La France se meut dans l'incertitude politique, et elle n'aime pas cela. Mais au fond, a-t-elle vraiment un besoin vital d'un gouvernement, d'une majorité parlementaire, d'un président ? Sans doute tient-elle moins par la société que par l'Etat, mais elle tient moins encore par les institutions politiques de l'Etat que par l'administration : la "continuité de l'Etat" dont elle fait si grand cas, ce n'est en effet rien d'autre que la continuité de l'administration publique. N'y aurait-il en France plus ni parlement, ni gouvernement, ni président ou monarque, elle tiendrait encore. Par les préfets, les Maires et les fonctionnaires. Cela, ceux-là, évidemment, ne font pas un projet politique, et ne font pas non plus une puissance. Or la France en est (encore) une, de puissance. Elle est non seulement un Etat fondateur de l'Union Européenne, quand elle n'était encore que le Marché Commun, mais elle est aussi un élément fondamental de l'UE : elle en est aujourd'hui (depuis le départ de u Royaume-Uni) le seul membre qui siège au Conseil de Sécurité de l'ONU, et qui soit une puissance nucléaire. Elle est également un allié important de l'Ukraine (et donc un adversaire important de la Russie). Elle est enfin la cinquième puissance économique mondiale et la deuxième économie de l'Union Européenne. Qu'elle soit en crise politique n'est donc pas sans importance pour d'autres qu'elle.
La veille de sa chute, et ne se faisant plus guère d'illusions sur ses chances d'y échapper, François Bayrou fustigeait encore des forces politiques "en guerre civile les unes avec les autres" (on aurait plutôt dit "les unes contre les autres"), et capable de s'allier seulement pour "faire tomber le gouvernement". C'était un peu court comme analyse. Aussi court que le seul point positif de son bilan de Premier ministre dont il a pu se targuer : "j'ai duré plus longtemps que Mendès France". Aussi court que son programme : Bayrou avait une obsession : la dette de la France. Une obsession bien plus ancienne que son accession au poste piégé de Premier ministre de Macron. Une obsession qui lui faisait proclamer que le "pronostic vital" de la France est engagé en raison de son "surendettement" (114 % du PIB, soit le niveau de la dette des USA). Cette obsession, il en avait fait un programme budgétaire de 44 milliards d'économies pour 2026. Un programme d'une dureté sociale qui aurait été insupportable. Un programme si lié à la personne de Bayrou que son successeur pourra l'abandonner sans se déjuger.
Le 31 décembre dernier, alors que le gouvernement
de Michel Barnier était tombé et que la France se retrouvait non
seulement sans gouvernement mais aussi sans budget et sans
majorité parlementaire, Macron admettait pour la première fois
que la dissolution de l'Assemblée nationale avait "apporté, pour
le moment, davantage de divisions à l'Assemblée que de solutions
pour les Français (...) plus d'instabilité que de sérénité et
j'en prends toute ma part". Mais quelle part, au juste ? Macron
voulait lancer "une grenade dégoupillée dans les jambes de ses
adversaires" et son ministre de l'Intérieur de l'époque, Gérald
Darmanin, assurait que "la gauche n'aurait pas le temps de
s'unir". Double ratage : la grenade a explosé dans les rangs de
la majorité présidentielle et la gauche s'est unie, arrivant en
tête en nombre de sièges à l'Assemblée (le Rassemblement
National arrivant, lui, en tête en nombre de suffrages au
premier tour). Et le gouvernement, sans majorité à l'Assemblée
nationale, et à la merci d'une motion de censure qui serait
soutenue par le RN, ne peut plus prendre aucune initiative qui
déplairait à l'extrême-droite. Le "socle commun" du centre et de
la droite est sans programme de coalition, les ministres
soumettent au parlement des textes dont ils savent qu'ils ne
sont pas constitutionnels et le Premier ministre sortant est le
plus impopulaire depuis Edith Cresson. "C'est
maintenant que les ennuis commencent" avait déclaré François Bayrou au moment de la
nomination, le premier de ces ennuis étant
peut-être Bayrou lui-même, premier ministre animé d'une très haute opinion de
lui-même, qui se compare à Clémenceau et à Mendès-France (quand
ce n'est pas carrément à Churchill ou à Henry IV) mais n'est une
sorte de réincarnation de Queuillle Président du Conseil sous la
IVe République qui disait que faire de la politique, "ce n'est
pas résoudre les problèmes mais faire taire ceux qui les
posent".
L e Pen et Mélenchon n'attendent qu'une chose : la démission d'Emmanuel Macron, avec au coeur, chevillé, l'espoir de se retrouver face à face à une élection présidentielle anticipée, avant que la droite démocratique et la gauche hors LFI aient eu le temps de présenter, l'une et l'autre, une candidature capable de se hisser à ce deuxième tour de tous les dangers politiques. "Nous y sommes. c'est eux ou nous, il n'y a rien au milieu", proclamait au soir du premier tour des Législatives de juin Jean-Luc Mélenchon, sur le ton de Malraux assurant qu'"entre les communistes et nous (les gaullistes), il n'y a rien". Mais comme Malraux, Mélenchon prenait ses désirs pour des réalités. Entre le "nous" désignant LFI et le "eux" désignant tout les autres, il y a au moins le reste de la gauche. Et entre la gauche (LFI comprise) et le Rassemblement National, il y a toute la droite démocratique. Or la gauche pesait, lors des dernières élections générales, moins du tiers des suffrages. Et Mélenchon sait, ou devrait savoir, qu'il ne pourra rallier l'électorat de droite, qui, à choisir entre Le Pen et lui, choisira Le Pen. D'ailleurs, au Rassemblement National, on n'est pas loin de penser comme Mélenchon qu'"entre eux et nous, il n'y a rien" (il suffit d'intervertir les "eux" et le "nous"), et que la meilleure, et peut-être la seule, chance pour Marine Le Pen d'être élue, c'est d'affronter Mélenchon et pas un candidat de la droite traditionnelle, genre Edouard Philippe ou de la gauche réformiste, genre Glucksmann. Et on se dit, si l'hypothèse d'un duel Mélenchon-Le Pen se réalisait, qu'il sera plus facile au RN de séduire la droite démocratique qu'à Mélenchon de convaincre le PS.
Quel gouvernement, maintenant, pour la France, autour du nouveau Premier ministre ? Le jeu des chaises musicales avait commencé dès avant le renversement de celle de Bayrou. Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a redit qu'il ne pouvait être question pour les socialistes "de former un gouvernement commun avec des macronistes", mais seulement "un gouvernement de gauche" et de "cohabitation" avec Macron, dont, à gauche, le lider maximo de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, demande la tête, c'est-à-dire la démission ou la destitution, la France insoumise ayant déposé une motion en ce sens à l'Assemblée nationale. -Le Rassemblement National, lui, veut une nouvelle dissolution de l'Assemblée Nationale et des législatives anticipées, qu'il croit pouvoir gagner (et qu'en effet, il peut gagner si un "Front Républicain" ne se forme pas contre lui). Et tout ce beau monde a moins en tête la formation d'un nouveau gouvernement en 2025 que l'élection d'un nouveau président, ou d'une nouvelle présidente, en 2027. Car Emmanuel Macron ne peut pas se représenter en 2027, la Constitution française limitant à deux mandats consécutifs le nombre de mandats présidentiels, ce qu'il avait qualifié de "funeste connerie". Il peut cependant se présenter en 2032 (il n'aura après tout que 54 ans). En attendant quoi, il va devoir compter les coups entre les candidats à sa succession, dans son propre camp. Et ils sont de plus en plus nombreux, car la dissolution de l'Assemblée Nationale en juin 2024, décidée par Macron avec l'espoir de lui donner un second souffle pour les trois années de mandat présidentiel qu'il lui reste a surtout multiplié les ambitions à droite de lui succéder. Et réduit son rôle institutionnel à, comme il l'admet lui-même (sans s'y résigner, ni y arriver) à assurer la "stabilité" du pays. Et réduit son espoir à celui de ne pas être le président de la République accueillant sur le perron de l'Elysée Marine Le Pen pour lui succéder.
Bon, tout cela, c'est, même s'il s'agit d'élections démocratiques, de la politique politicienne. De la désignation de représentants du peuple (alors qu'on devrait tout de même savoir que le peuple ne peut être représenté sans cesser d'être souverain) ou de serviteurs de l'Etat. Le peuple, lui, n'est pas encore entré dans le jeu. La journée de blocage d'aujourd'hui l'appelle à y entrer. La journée de mobilisation syndicale du 18 y appelle les travailleuses et les travailleurs. Ces deux journées sont un peu celles d'un réveil de la société face à l'Etat. Leur succès, leur contenu, leur ampleur, sera sans doute plus déterminant pour la suite que les tractations entre partis politiques pour l'attribution des sièges, des postes et des ors de la République.
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