La Suisse attend-elle pour reconnaître la Palestine qu'il n'y ait plus rien à reconnaître ?

"Si pas maintenant, quand ?"

154 Etats membres de l'ONU, et quatre des cinq membres du Conseil de Sécurité, ont désormais reconnu un Etat palestinien. Un acte symbolique ? sans doute, mais si cette reconnaissance d'un Etat encore virtuel un mérite ne met fin ni au massacre à Gaza, ni à l'épuration ethnique en Cisjordanie, elle ramène le débat à l'essentiel : les droits des peuples. Les droits égaux des deux peuples, israélien et palestinien. Pas de l'un sur l'autre, ou contre l'autre. Des deux, côte à côte, et non plus face à face. Les Nations Unies veulent voir dans la "solution à deux Etats" le moyen de cette coexistence pacifique des peuples. Et dans la reconnaissance d'un Etat palestinien une étape nécessaire à la mise en oeuvre de cette solution -comme la reconnaissance de l'Etat d'Israël le fut, il y a bientôt 80 ans, par le plan de partition de l'ONU qui, déjà, reconnaissait aussi le droit des palestiniens "arabes" à leur Etat. Et la Suisse, dans ce débat, elle fait quoi, elle dit quoi ? Rien. Ou rien qui vaille quoi que ce soit. Elle s'est prononcée pour une solution à deux Etats, mais refuse d'en reconnaître l'un  : le palestinien. Parce que ce serait trop tôt. Mais "si pas maintenant, quand ?" (Hillel Hazaken) Quand il sera trop tard, qu'il n'y aura plus rien à reconnaître, comme l'annonçait fièrement  le ministre israélien d'extrême-droite Bezalel Smotrich se vantant en août dernier d'un avortement "L'Etat palestinien est en train d'être effacé" avant même que de naître ? "Nous sommes en train de mettre en jeu notre réputation d'Etat dépositaire des droits de l'Homme" avertit Micheline Calmy-Rey... Il est vrai qu'elle ne semble plus peser grand'chose, cette réputation, face aux calculs de balance commerciale...

L'expression d'un refus de toute "solution finale" de la "question palestinienne"

Le gouvernement d'Israël et le président des USA dénoncent, dans la reconnaissance d'un Etat palestinien, un "cadeau" fait au Hamas...  Mais elle s'est accompagnée, depuis des semaines, d'une condamnation par l'Egypte, le Qatar, la Ligue arabe et la Turquie, du massacre du 7 octobre, et d'un appel à la démilitarisation du Hamas... Et puis, est-ce que reconnaître le droit de l'Algérie à l'indépendance était une récompense offerte aux auteurs de l'attentat du Milk Bar ? Et la reconnaissance de l'Etat libre d'Irlande, un "cadeau" à l'IRA ? et l'autonomie basque, un "cadeau" à ETA ? 

L'ambassadeur de Suisse en Israël (le seul des "deux Etats" que la Suisse reconnaît...) estime que les conditions de la reconnaissance par la Suisse d'un Etat palestinien ne sont pas remplies. Quelles sont-elles au juste ces conditions ? le nihil obstat de Netanyahou et de Trump ? La Suisse avait pourtant fait mine, en juillet, d'aller un peu plus loin qu'une voie de garage : elle avait appelé à adopter "sans tarder" des mesures diplomatiques visant à concrétiser la solution à deux Etats... or la solution à deux Etats ne peut évidemment pas être concrétisée si on n'en reconnaît qu'un seul -celui qui occupe une part croissante du territoire de l'autre... Le Département fédéral des Affaires étrangères considère que la reconnaissance de la Palestine ne peut intervenir qu'au terme d'un processus de paix -or elle a précisément pour fonction de le lancer, ce processus. Elle enclenche un processus, elle ne le clôt pas. Elle est un point de départ, pas un point d'orgue. La reconnaissance de l'Etat palestinien n'aurait qu'une valeur symbolique, tant que des sanctions matérielles n'auront pas été imposées à Israël  ? Peut-être. Mais sa non-reconnaissance aussi. D'autant que la non-reconnaissance de l'Etat palestinien ne serait au fond que la reconnaissance du droit du gouvernement israélien de la rendre impossible alors que l'ONU la demande -et ne la demande pas depuis quelques jours, mais depuis plus de soixante ans : "Le coup de massue de 1948, avec la création de l'Etat d'Israël en Palestine, s'est fait au prix d'un peuple : le peuple de Palestine", rappellait Dominique Eddé. Or cette création d'Israël comme Etat reconnu par la "communauté internationale" a été faite par une résolution de l'ONU (que le gouvernement actuel d'Israël voue aux gémonies et à la géhenne) qui prévoyait aussi la création d'un Etat palestinien "arabe". Autrement dit, seule la moitié de la résolution de l'ONU a été suivie d'effet. Et Dominique Eddé poursuit : "Benyamin Nétanyahou a pris le temps en otage. (...) Aujourd'hui, ce temps malade est entre les mains d'une extrême-droite messianique qui veut lui faire réaliser en un quart d'heure ce que soixante-quinze ans n'ont pas réussi à accomplir : la disparition rêvée du peuple palestinien par les partisans du "Grand Israël" de la rivière à la mer...". 

La reconnaissance d'un Etat palestinien ne serait-elle que l'expression d'un refus de toute "solution finale" de la "question palestinienne" qu'elle se justfierait par cela seul. 





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