Mobilisations sociales et syndicales en France : La rue parle

Dans le calendrier républicain, ce jour du 18 septembre est celui de la troisième fête "sanculotide" : la fête du Travail. En France, les syndicats en ont fait une fête des travailleurs. Pas le grand soir, certes, mais un bon jour. Avec beaucoup de monde dans la rue (entre 500'000 et un million de personnes) ou à l'entrée des entreprises et sans violences inutiles (et profitables au pouvoir). Et des syndicats qui reprennent la main. Qui savent ce qu'ils veulent et ce qu'ils refusent : un budget d'austérité au prétexte de la dette. "Un vote n'efface pas la réalité", avait lancé François Bayrou à l'Assemblée Nationale qui s’apprêtait à lui refuser la confiance qu'il sollicitait. La réalité, hier, elle était dans la rue, précisément. Ce n'est pas encore l'étincelle capable de mettre feu à toute la plaine, mais cela signifie tout de même que braises, il y a. Que la colère est toujours là. Et qu'il ne manque pas grand chose pour qu'elle se traduise par autre chose, et plus, que des manifs. La colère, au fond, c'est comme l'amour analysé, ou rêvé, par Stendhal : il lui faut se cristalliser...

"Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes d'en bas"

Deux mobilisations en huit jours, le 10 et le 18 septembre, pour dire tout le mal que la majorité des Français pensent de la politique incarnée par leur président, suivie ou proposée par leur gouvernement (quand il y en a un), et du projet de budget défendu jusqu'au suicide politique par un Premier ministre, et dont on ne sait ce que son successeur va faire. La journée du 10 septembre, celle de l'appel "bloquons tout", avait eu moins d'impact que ses promoteurs et ses récupérateurs l'espéraient. La France ne s'était pas retrouvée bloquée, ni à l'arrêt, et ce n'était pas dû à la mobilisation policière déjà disproportionnée (80'000 policiers et gendarmes, comme hier), mais à une plus faible mobilisation qu'attendue : 200 à 250'000 personnes dans doute la France, la moitié ou le quart de la mobilisation d'hier. Le 10 septembre était sans autre projet politique que celui, illusoire, de faire démissionner Macron : "nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes d'en bas et nous allons chercher ceux d'en haut", proclamait une pancarte à Clermont-Ferrand. Du populisme pur, dans la continuation de la jacquerie des "gilets jaunes", mais loin des sources russes et révolutionnaires du populisme. Une semaine plus tard, la journée d'hier, organisée, conduite, encadrée par les syndicats, était d'une autre nature. Ce n'était pas l'émergence d'un mouvement nouveau, comme le "bloquons tout" ou les "gilets jaunes" auraient voulu l'être, mais la reprise d'un mouvement ancien, organisé : le syndicalisme, dont on avait sans doute rédigé un peu trop tôt l'acte de décès ou le diagnostic d'agonie. Les "gilets jaunes" s'étaient déployés hors des lieux de travail -Or ce sont les lieux du syndicalisme. Et la mobilisation d'hier a été préparée par des mobilisations sectorielles dans les secteurs de l'énergie et de la santé, ou à Radio France, et pouvait ainsi échapper aux phagocytage par le RN ou à la récupération par LFI. Et elles forment peut-être une sorte de parenthèse ouverte par les "gilets jaunes", ces gens ordinaires, sans affiliation partisane, sans adhésion syndicale, représentatifs d'une majorité de la population mais ne voulant, eux, être représentés par personne. On était là, et on était encore le 8 septembre avec "bloquons tout", dans la continuité des mouvements sociaux de notre quart de siècle : les Indignés, Nuit Debout... On peut désormais mobiliser facilement en usant des réseaux sociaux. Mais on ne sait toujours pas comment faire durer les mouvements qu'on lance, et qui ne savent pas se doter de débouchés politiques -quand ils ne s'y refusent pas délibérément, comme les "gilets jaunes". 

N les "gilets jaunes" ni "Bloquons nous" ne s'étaient donnés les moyens de devenir un véritable mouvement social, et pas seulement un mouvement de protestation sans pérennité. Il aura fallu de la fin du XIXe siècle aux années vingt du XXe, des décennies, en France comme ailleurs, pour que le mouvement syndical devienne cet acteur social, politique, économique -et même culturel- incontournable, s'inscrivant dans la durée et la capacité de créer un rapport de force, face au patronat mais aussi face à l'Etat, même si le taux de syndicalisation en France n'a jamais atteint celui des pays du nord de l'Europe. 

Il y a pourtant, toutes différences retenues, une permanence des "gilets jaunes" à la mobilisation intersyndicale en passant par "bloquons tout" : Le mécontentement, les mécontentements, la colère. Un Premier ministre sans majorité parlementaire, et sans gouvernement. Un président dont la légitimité ne tient plus qu'à sa présence internationale. Un peuple qui vote et dont le vote n'est pas pris en compte, même quand il est réduit à désigner des représentants d'un peuple qui ne se sent plus représenté, et d'ailleurs ne peut l'être sans cesser d'être souverain. Et un rapport de force qui se déplace des institutions élues à la rue, qui est toujours un lieu de contre-pouvoir, comme la grève est toujours le moyen d'un rapport de force. De nouvelles formes de luttes apparaissent, qui peuvent renouveler les anciennes sans s'y substituer.

"La Rue", c'était, au printemps 1870, un journal quotidien, à Paris. Il coûtait un sou. Il n'avait que deux pages. Et  son rédacteur en chef s’appelait Jules Vallès. Il ne dura qu'un printemps. Le printemps suivant fut celui de la Commune.



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