30 novembre, jour de l'Initiative Pour l'Avenir

Avant qu'il soit trop tard

Le 30 novembre, le peuple suisse se prononcera sur l'initiative populaire fédérale de la Jeunesse Socialiste proposant un impôt fédéral sur les plus grosses successions et donations (actuellement, l'impôt sur les successions est un impôt cantonal, à un taux moyen de 1,6 %).  L'initiative est canonnée, comme il se doit, par la droite, le patronat et le milieu financier. Pour la Fondation "Genève Place financière, la Jeunesse Socialiste  ne veut rien moins que détruire les entreprises familiales. Or l'objectif de l'initiative est tout autre : il est de financer une politique climatique et environnementale socialement juste et respectant les engagements que la Suisse a elle-même pris. Et la financer en prenant de l'argent là où il y en a bien assez : dans les héritages des ultra-riches. Le produit de l'impôt irait pour les deux tiers à la Confédération et pour un tiers aux cantons. Enfin, l'initiative demande que des mesures soient prises contre l'évasion fiscale. Ce n'est pas la première fois que le peuple et les cantons se prononceront sur une proposition d'imposition des héritages : en 2015, un impôt fédéral sur les gros héritages, destiné à financer l'AVS, a été refusé à 71 % des suffrages et par tous les cantons. Le vote de cette année sera-t-il le bon ? Il tombe, en tout cas au bon moment : celui de choisir si on veut se donner les moyens d'une lutte efficace, et socialement juste, contre la destruction de nos cadres de vie. Avant qu'il soit trop tard.

Du "pollueur, payeur" au "plus gros pollueur, plus gros payeur" 

On ne reprochera pas à la droite politique et patronale d'avoir tardé à combattre l'initiative de la Jeunesse socialiste, "pour l'avenir". Elle a même commencé à la combattre plus d'un an avant de savoir quand elle serait soumise au vote. On ne sonne jamais le tocsin assez tôt. En juillet 2024, le propriétaire de Stadler Rail, annonçait que la JS le forçait à s'expatrier. Puis c'est la patronne d'EMS chimie, la Conseillère nationale (UDC, évidemment) Magdalena Martullo-Blocher qui dénonçait en l'initiative un programme de démantèlement des grandes entreprises suisses, puis encore sa collègue centriste Elisabeth Schneider-Schneider qui, geignant sur l'"insupportable bashing des riches", annonçait carrément que "les premiers millionnaires ont déjà déménagé par peur de l'initiative".   En décembre dernier, c'est la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter qui dégaine une étude de l'Université de Lausanne qui évoque le risque qu'entre la moitié et les trois quarts des superriches  quitteraient la Suisse en emportant avec eux au moins les trois quarts, et jusqu'à plus de 90 % de la masse fiscale (entre 3,6 et 5 milliards de francs par an) que l'initiative imposerait. On avoue avoir sous-estimé la puissance de la Jeunesse Socialiste...

L'initiative pour l'avenir propose, pour financer la réponse à la crise climatique, un impôt de 50 % sur les successions et donations de plus de 50 millions, cet impôt n'étant prélevé que sur ce surplus -mais pas sur les cinquante premiers millions. De fait, il ne toucherait que 2500 personnes, totalisant ensemble une fortune de 500 milliards., qui a doublé en moins d'une génération. Ces ultra-riches le sont le plus souvent (dans 80 % des cas) devenus sans s'être donnée une autre peine que celle de naître. Car l'héritage, c'est une fortune qu'on n'obtient pas par ses mérites (sinon celui d'être né) ou son travail (sinon celui d'avoir vécu plus longtemps que ceux dont on hérite), mais qui "tombe du ciel" -ou plutôt de la mort d'un proche. Et c'est une reproduction : les enfants des riches héritent de la richesse de leurs parents, les enfants des pauvres de leur pauvreté. On est là dans un fonctionnement fondamentalement anti-libéral (en plus d'être, évidemment, anti-socialiste).  Comme on vit de plus en plus longtemps, on hérite aussi de plus en plus vieux. L'héritage n'est plus un point de départ dans la vie d'un héritier, mais un surplus de fortune pour un héritier âgé.

 L'acceptation de l'initiative de la JS ne révolutionnerait pas le cadre structurel de l'économie, ni ne remédierait aux causes profondes des inégalités sociales, ni ne suffirait à rendre possible une politique environnementale et climatique alternative -mais à tout cela, elle contribuerait, financièrement, mais aussi symboliquement, politiquement, en mettant en lumière la place et le poids de la Suisse (un pays qui réduit ses dépenses environnementales et stocke ses émissions de CO2 en Scandinavie) et de son économie dans la production des ravages environnementaux mondiaux du capitalisme.

La Suisse est la deuxième source de financement des entreprises du secteur de l'énergie fossile et sa place financière génère des émissions de gaz à effet de serre plus de quinze fois supérieures à ses émissions domestiques. Nestlé est le deuxième producteur de plastique au monde, Holcim l'entreprise suisse la plus polluante. La Confédération finance pour deux milliards par an la protection du climat, mais il en faudrait plus de cinq fois plus pour tenir ses propres objectifs. Et les deux milliards, insuffisants, dont elle dispose, elle les retire surtout de taxes indirectes, payées par tout le monde. Or les plus riches sont les plus gros pollueurs et les plus gros producteurs de CO2, il est donc légitime de les faire payer plus que les autres pour protéger le climat -et cela vaut pour les personnes, les entreprises, les Etats. Ce ne serait, après tout, qu'une déclinaison du principe du "pollueur, payeur" en "plus gros pollueur, plus gros payeur". 

Parce que si, désormais, pollueurs nous le sommes tous, certains le sont bien plus que d'autres... 


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