Abolition de l'impôt sur la valeur locative : Et maintenant ?
La majorité de la majorité suisse-alémanique a donc décidé, contre la majorité de la minorité romande (tous les cantons romands ont voté "non") et la majorité des villes (y compris Bâle, qui rejoint les cantons romands), de supprimer l'imposition de la valeur locative pour pouvoir, éventuellement, introduire à la place une imposition des résidences secondaires. Mais la suppression de l'une et l'introduction de l'autre vont prendre du temps et l'année prochaine et encore en 2027, voire plus tard encore (la valeur locative ne sera supprimée qu'au plus tôt en 2028), les propriétaires de logement devront encore déclarer le loyer théorique de leur propriété... et bénéficier des déductions fiscales qui accompagnent l'imposition de ce revenu fictif (mais possible). Pendant ce temps, les cantons pourront mettre en place un nouvel impôt, sur les résidences secondaires, pour compenser les pertes fiscales entraînées par l'abolition de l'impôt actuel. Les cantons espéraient que cette abolition serait refusée par le peuple, cet espoir a été déçu (il y a eu 57 % de "oui", malgré le refus romand) mais le nouvel impôt, s'il était proposé par les cantons, serait sans doute soumis au peuple, et rien ne garantit qu'il soit alors accepté, le peuple étant assez rétif à ce genre de nouveautés fiscales, et à l'exercice consistant à ne supprimer un impôt que pour en introduire un autre pour boucher le trou qu'on vient de creuser.
Bien joué, mais à quel jeu idiot ?
La suppression de l'imposition sur la valeur locative était depuis longtemps une priorité pour la droite, en même temps que toutes les réductions possibles et imaginables de la protection des locataires. Elle y est donc enfin arrivée -mais en y payant un prix qu'une partie d'entre elle aurait bien voulu ne pas payer : la fin de la plupart des déductions fiscales que cette imposition permettait. Et la possibilité d'un impôt cantonal nouveau, alors qu'elle passe son temps dans tous les cantons à vouloir baisser les impôts existants. Pour compenser l'imposition de la valeur locative, les cantons ont en effet la possibilité d'introduire une taxe sur les résidences secondaires. La possibilité, pas l'obligation. Et ils peuvent même transmettre le cadeau empoisonné aux communes. La Conférence gouvernementale des cantons alpins, particulièrement concernés, s'était prononcée contre l'abolition de l'imposition de la valeur locative -mais, le Valais excepté, tout les cantons alpins l'ont acceptée. Et devraient y perdre, ensemble (Valais compris) plus de 277 millions de francs. Le texte adopté fait perdre 1,8 milliard de francs de ressources fiscales aux collectivités publiques ensemble. C'est un cadeau aux propriétaires les mieux lotis : ceux qui ont pu et pourront encore acheter leur logement sans s'endetter ou ont pu, parce que leurs revenus le leur permettait, rembourser leur emprunt en moins de dix ans. L'abolition de l'imposition de la valeur locative va en outre augmenter le prix d'achat des maisons et des appartements neufs ou récents, puisque le coût de l'utilisation d'un logement en propriété va diminuer.
Pour gagner, les partisans de l'abolition de l'imposition sur la valeur locative comptaient sur la peur du déclassement chez une partie des petits propriétaires, qui se pensaient mieux lotis que s'ils étaient locataires. Un calcul qui a payé, en Alémanie, et auprès des propriétaires âgés, principaux bénéficiaires du changement puisqu'ils ont plus souvent et plus largement que les plus jeunes remboursé leurs hypothèques. Enfin, il n'est pas exclu que la fin de la déductibilité fiscale des frais d'entretien et de rénovation encourage les propriétaires à recourir au travail au noir pour ces travaux, qui leur coûteraient plus cher s'ils étaient effectués en ayant recours à des mandats contractuels, formels et légaux. Les experts de l'économie "souterraine" (ou parallèle) évaluent la progression possible de cette économie souterraine, due à la fin des déductions fiscales liées à l'imposition de la valeur locative, à pas moins d'un demi-milliard de francs par an...
On a donc participé à un vote fédéral dont l'intelligence ne saute pas vraiment aux yeux : non seulement on n'a supprimé un impôt que pour rendre possible l'introduction d'un autre, mais en supprimant un impôt qu'on condamnait comme injuste, on a fait un cadeau aux propriétaires les plus âgés et les plus fortunés, et incité les autres à engager "au noir" des travailleurs pour faire le travail qu'on confiait à des entreprises, et des travailleurs, statutaires. Bien joué, mais à quel jeu idiot ?
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