Introduction de l'identité numérique à 21'000 voix près : Un "oui" ou un bug ?
Le comité référendaire contre l'introduction en Suisse d'une identité numérique, acceptée par les poils (50,39 %) ou un bug le 28 septembre grâce aux votes des villes (on n'ose dire "au vote des geeks urbains"...), a demandé l'annulation du résultat, en arguant d'interventions illicites de Swisscom en faveur du "oui" : selon le comité, Swisscom aurait fait un don de 30'000 francs à un comité favorable à l'e-ID, dont un cadre supérieur de l'entreprise publique aurait fait la promotion. En outre la fondation Digitalswitzerland , faîtière de la numérisation en Suisse et dont le PDG de Swisscom fait partie de la direction, aurait fait un don de 150'000 francs au comité du "oui"... Avec un écart aussi infime que celui séparant le camp des vainqueurs de celui des vaincus (21'000 voix),toute intervention publique avant le vote pouvait faire la décision. Et l'a peut-être faite. Bon, l'e-id telle que proposée, et acceptée par le peuple, ne sera pas introduite avant la fin 2026. On n'est d'ailleurs pas très pressés. De toute façon, on n'était pas de ceux qui la réclamaient.
Encore un choix enthousiasmant : les GAFA ou Lascaux
L'identité numérique n'a donc été acceptée que d'un souffle par les Suisses.ses le 28 septembre. Le référendum contre la loi l'introduisant avait été lancé par le petit parti "Intégrité numérique", et soutenu par l'extrême-droite, mais aussi par une partie de la gauche de la gauche. Et les référendaires ne furent pas seuls à refuser la loi : huit cantons l'ont fait, dont trois cantons romands (Jura, Neuchâtel, Valais). Et à Genève, plusieurs arrondissements de gauche de la Ville (les Pâquis, la Servette, les Cropettes, Vieusseux et Saint-Gervais, ) ont refusé le projet, en revanche largement, voire massivement, accepté dans les parcs à bourges comme Anières, Céligny, Conches, Corsier et autres Vandoeuvres. Les sondages suggéraient pourtant une acceptation assez large -mais le Conseiller fédéral socialiste, Beat Jens, tuteur politique du projet, s'attendait à un vote serré : il y a quatre ans, en effet, le corps électoral avait refusé à deux contre un la première mouture de l'introduction d'une identité numérique, qui avait le lourd défaut d'être privatisée et centralisée tout à la fois, et fragile aux ambitions des multinationales du numérique, ce qui avait mobilisé la gauche contre elle- Deux défauts auquel le projet accepté le 29 septembre assure remédier en étant celui d'une identification numérique publique, gratuite, et décentralisée. Et fondé sur le choix volontaire (mais jusqu'à quand ?) des personnes, qui pourront toujours s'identifier par leur carte d'identité ou leur passeport. Et puis surtout, le Conseiller fédéral savait la méfiance profonde de la population à l'égard de la numérisation des données et des échanges. Méfiance parfaitement justifiée, qu'une confiance à l'égard du projet n'a pu contrecarrer que de quelques bits.
Les syndicats patronaux (la Fédération des Entreprises Romandes - Genève, FER) avaient eu l'obligeance de nous fournir, dans l'édition du 22 août de leur journal "cinq raisons de voter en faveur de l'e-ID". Merci à eux, il est vrai que des raisons de voter pour ce projet de création d'une identité électronique, sous la forme d'une carte d'identité numérisée, on en manquait. Donc, on aurait dû la voter, cette carte d'identité parce qu'elle est "numérisée, facultative et gratuite". Numérisée, en effet, elle l'est... mais pendant combien de temps sera-t-elle "facultative et gratuite", avant que sa généralisation la rende quasi obligatoire, et qu'on finisse par la payer d'une manière ou d'une autre ? On ne prendra aucun pari sur la durée de ce qui pourrait bien n'être qu'un répit. A contre-rôle, les syndicats patronaux plaidaient pour "un modèle étatique simple, transparent et sécurisé". Sans doute devrait-on se féliciter hautement de ce que les patrons genevois se fassent, même le temps d'une campagne de votation, les chantres de l'étatisme, mais là encore, on a comme une incertitude sur la durée de la transparence et de la sécurité de ce modèle (on fait notamment confiance aux hackers pour percer ses sécurités...). Et on se dit que dès que ce modèle "étatique" se sera généralisé, on risque fort de le voir parasité par des intérêts privés. D'ailleurs, nos patrons nous l'avouaient : "des partenaires privés (pourront) intervenir dans la mise en œuvre technique" de ce beau projet. On se disait aussi... et on les sent déjà frétiller d'aise. Enfin, la FER nous l'assurait : une identité électronique forte et certifiée permettrait de mieux lutter contre les fraudes en ligne, les usurpations d'identité et les arnaques". C'est cela, voui, comme si les fraudeurs, les usurpateurs et les arnaqueurs, sans parler des entreprises privées, ne trouveront pas le moyen de bénéficier, elles aussi, du renforcement de "la confiance dans les échanges numériques"...
On ne pouvait ignorer l'évolution générale, et mondiale, vers le numérique, plaidait-on du côté des partisans du projet, qui, pour le Conseil fédéral, constitue un élément-clé de la transformation numérique du pays. Et l'Union syndicale suisse justifiait par cette évolution et cette transformation son soutien au projet d'e-ID, en ignorant le risque d'une nouvelle forme d'exclusion sociale par la disparition progressive de toute possibilité d'accéder à un service public autrement qu'en passant par un ordinateur, une tablette ou un smartphone -un risque que la professeure Solange Ghernaouti, experte en cybersécurité, définissait comme "une obligation de fait, avec de moins en moins de services facilement accessibles, sans coût additionnel ni pénalité" : aucune loi ne rendra obligatoire de détenir une identité numérique sur son smartphone, et donc d'avoir toujours sur soi ou à côté de soi un smartphone, c'est seulement la réalité qui fera qu'on ne pourra plus avoir accès à une information ou une prestation sans cela... ou sans la payer plus cher.
"Permettre à la population de prouver son identité en ligne est une mission fondamentale de l'Etat" estimait l'Union syndicale suisse. Comme si on n'avait plus le droit à une vie "hors ligne", plus de droit à l'anonymat. Comme si toute évolution était bonne à prendre et qu'on n'avait que le choix de monter en marche dans le train de la numérisation ou retourner dans la caverne originelle pour cracher de la couleur sur les murs autour de nos mains pour en dessiner l'image. Les GAFA ou Lascaux, quoi. Encore un choix enthousiasmant...



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