Ce que la crise à la Comédie de Genève nous dit de la politique culturelle genevoise

Le bruit et la lumière

Si la polémique autour de la direction de la Comédie s'est un peu calmée ces derniers jours, ce qu'elle évoquait et peut-être révélait ne peut nous être indifférent. Ni à nous, ni à la Ville de Genève.  Joëlle Bertossa a annoncé avoir demandé à la Cour des Comptes d'effectuer un audit de la Comédie, ce que demandait également la Commission des Arts et de la Culture du Conseil municipal. Après quoi, la Conseillère administrative a exprimé son entier soutien à la direction actuelle de l'institution. On s’autorisera à voir une contradiction entre les deux annonces : nous saluons la première, nous considérons la seconde comme prématurée (elle le serait tout autant si la Conseillère administrative avait condamné la direction du théâtre) : dès lors qu'on demande à une institution comme la Cour des comptes d'analyser le fonctionnement de la Comédie, on se prive de la possibilité, de soutenir ou de condamner quelque acteur que ce soit dans la crise qui provoque cette demande d'audit. La Cour des Comptes n'est pas une commission d'enquête sur un événement ponctuel, elle va mettre en lumière les raisons de cette événement. Tout ce que la crise actuelle devrait mettre en lumière et non en bruit, et qui ne tient évidemment pas à la nationalité d'origine de la directrice du théâtre mais à des choix de politique culturelle... L'enjeu, à la Comédie comme dans toute institution culturelle, n'est pas la couleur du passeport de qui la dirige, l'enjeu, c'est ce qu'ils ou elles créent. 

Quel auteur de la pièce politique qu'on va jouer à la Comédie : Feydeau ou Eschyle ?

Le French Bashing infantile de l'extrême-droite genevoise, qui ne dit rien des problèmes de la Comédie ni de leurs causes, on y est habitués. On ne s'y résigne pas, même quand c'est Mauro Poggia (qu'on a pu lire mieux inspiré) qui s'y livre dans GHI (où, sinon ? Sur le CNews local?), mais on sait qu'il serait illusoire d'attendre qu'il se dissolve au petit vent de l'histoire : après tout, les premières traces de la francophobie folklorique qui est quelque chose comme un élément du patrimoine immatériel de Genève remontent à bientôt 500 ans, quand les bons Genevois de l'époque vitupéraient les pasteurs français qui prétendaient amener la Bonne Parole en français à une ville qui parlais arpitan et à qui ces mêmes pasteurs, et les Conseils de la toute nouvelle République, prétendirent même apprendre à parler, à lire et à écrire en français. Ne serait-ce parce que la Bible ayant été quasiment proclamée comme étant la Constitution de la République, il fallait bien que les citoyens, les citoyennes, les habitants et les habitantes de la République soient capables de la lire et de la comprendre, cette constitution biblique.

Cela rappelé, à  moins de se satisfaire de l'écume des chose, on aurait grand tort de croire que la crise que traverse la Comédie de Genève (et qui n'est pas la première)  puisse être réglée par des changements à sa tête. Les accusations portées contre la direction de l'institution sont graves, mais elles ne seraient qu'un épisode si elles ne renvoyaient pas au rôle de l'institution, à ses rapports avec la Cité, à la construction alambiquée de la fondation qui la chapeaute, à l'utilité même de cette fondation, à la responsabilité des instances politiques, à l'usage des millions de subventions municipales que reçoit l'institution. Et du rapport de la Cour des Comptes, on attend plus qu'une description de la situation : on attend des propositions, des recommandations faites à la Ville. Et des moyens, des arguments, des analyses qui permettent de tirer le débat vers le haut. Et de le mener avec tous les acteurs -dont les syndicats, pour pouvoir donner réponse à quelques questions innocentes :

55 % du budget de la Comédie, alimenté par une subvention municipale à la Fondation d'Art dramatique, doit être alloué au fonctionnement de l'institution, et 45 % aux créations et à l'accueil d'oeuvres. Ne devrait-on pas inverser ces proportions ?  

- La directrice de la Comédie peut (rien dans son cahier des charges ne l'en empêche, bien au contraire) programmer ses propres mises en scènes. Ne pourrait-on éviter ce qui relève d'un possible conflit d'intérêt en ne nommant plus à la direction d'un théâtre d'importance des metteurs ou metteuses en scène en activité ?  

- La Fondation d'art dramatique (FAD), fondation de droit public qui chapeaute La Comédie et Le Poche, et est elle-même chapeautée par le Conseil administratif de la Ville en tant qu'autorité de surveillance, est-elle indispensable, ou même utile, et ne pourrait-on s'en passer en plaçant les deux théâtres en gestion directe de la Ville, comme l'est le Grütli ? C'est tout de même la FAD qui avait, à l'unanimité de son Conseil de fondation choisi Séverine Chavrier pour prendre la tête de la Comédie -ce qui signifie qu'aucun représentant des partis qui font mine de vouloir la révoquer ne s'est opposé à ce choix...

- Et si on ne veut pas se passer d'une fondation, ne pourrait-on pas, au moins, la rendre transparente, en rendant publiques ses grilles salariales et les rémunérations de sa direction, et en permettant aux membres de son Conseil de fondation nommés par le Conseil municipal de rendre compte de leur mandat à leur mandant ?

Tout le reste ne relève finalement que d'un PDPGdM* auquel on ne peut prendre part qu'en s'y calibrant. Ce qu'on on y dira, on aura tort de le dire, sauf à le dire comme Jean-Jacques Roth dans "Le Temps" de samedi dernier : "transformer la question du partage des moyens publics en test identitaire, c'est étriqué. Un théâtre n'est pas un drapeau planté dans le sol. Il est un lieu traversé, poreux, habité". Et par cela, forcément conflictuel. 

Reste, évidemment, à choisir l'auteur de la pièce politique qu'on va jouer : Feydeau ou Eschyle ?

*petit débat politicard genevois de merde

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