Election du Procureur général de Genève : Cela s'appelle la démocratie

Cela fait bientôt quinze ans qu'Olivier Jornot est Procureur général de Genève. En 2011, il avait été élu, dans un scrutin complémentaire, par le Grand Conseil, dont il était membre, avec 49 voix. Dont la sienne. En 2014, l'élection se fit par le peuple, et Jornot fut réélu contre Pierre Bayenet, candidat de gauche non soutenu officiellement par le PS et les Verts. Et réélu encore en 2020, mais tacitement, faute de candidat. Le 29 mars prochain, c'est à nouveau le peuple qui décidera. Si Olivier Jornot devait être réélu, ce serait pour un troisième mandat complet, s'ajoutant au mandat complémentaire par quoi il a commencer sa carrière de procureur. Vingt ans de Jornot, ça vous tente ? ça tente en tout cas la droite. Et c'est l'UDC qui résume le mieux ce choix, par défaut : "en l'absence d'une meilleure option à droite, nous (soutiendrons Olivier Jornot) contre tout challenger de gauche". Car il y a un "challenger de gauche" : Pierre Bayenet, présenté par la gauche de la gauche et soutenu, en tout cas, par le PS (https://bayenet.ch/). Il y aura donc un choix, entre un candidat de droite et un candidat de gauche. Cela s'appelle la démocratie. Et il ne reste plus aux Verts qu'à soutenir la candidature de gauche (le PS en a décidé hier soir : à l'unanimité, son assemblée générale a voté le soutien à Pierre Bayenet, que soutiennent aussi les syndicats). Reste à assumer clairement le caractère éminemment politique de cette élection. Ou à laisser à d'autres (dont nous) le soin de le faire à leur place. 

Attendre qu'à la fin des fins d'un grand roman (ou d'un médiocre film), le Comte de Monte-Cristo finisse par terrasser le Procureur de Villefort ?

La candidature de Pierre Bayenet à la Procurature générale de la parvullisime République a obligé à une élection démocratique, au détriment d'une cooptation clanique où les juges jaugent, les procureurs procurent et la corpo décide. La candidature de gauche ouvre, ou plutôt ré-ouvre, sur la justice et la prison, un débat qu'on qualifierait de "citoyen" et de "républicain" si ces qualificatifs n'étaient pas aujourd'hui mis à toutes les sauces, y compris les plus douteuses. 

On ne niera pas qu'Olivier Jornot ait un bilan. Après quinze ans de procurature générale, c'est la moindre des choses. Mais que mettre à l'actif de ce bilan? la surpopulation carcérale, la chasse aux sans-papiers, la répression de la mendicité ? Jornot proclame fièrement dans la "Tribune de Genève" du 27 octobre qu'il n'est "pas fatigué". Pas fatigué de remplir la prison ? Proportionnellement à la population du canton, il y a plus de personnes détenues à Genève que dans n'importe quel autre canton -il y a des records dont on a aucune raison d'être fiers. Selon une étude du FondS national, la surpopulation carcérale genevoise n'est pas due à un manque de places de prison, ni à une criminalité et une délinquance plus grandes qu'ailleurs, mais à une pratique pénale particulière punitive.  La grande majorité des détenus provisoires ne sont finalement pas condamnés à de la prison ferme et une majorité plus grande encore des décisions pénales se font par des ordonnances adoptée par des procureurs sans passer par un jugement en tribunal et auxquelles les condamnés renoncent souvent à s'opposer par méconnaissance de procédures ou par manque de moyens. Le Procureur général sortant, et candidat à le rester, n'en a cure : pour lui, la mesure de l'efficacité de la machine judiciaire, c'est le nombre de personnes incarcérées.

"Libertés et Justice sociale" (LJS), le parti de Pierre Maudet, cherche un candidat, ou une candidate, pour le poste de Procureur Général de Genève. Le MCG aussi, cherche un candidat ou une candidate pour cette élection. Point commun de ces deux offres d'emploi : leurs auteurs prétendent vouloir "dépolitiser" l'élection du troisième personnage de la République. Des partis politiques qui veulent dépolitiser une élection au suffrage universel, la "Tribune de Genève" a  bien raison de trouver cela paradoxal, comme paradoxaux sont ces appels de formations politiques à "promouvoir une justice indépendante et dépolitisée" comme dit un parti politique (LJS), et confirme ce cri du coeur d'un politicien (Mauro Poggia, sénateur MCG élu par la droite et siégeant dans le groupe UDC) pour qui "la justice est trop importante pour la laisser en mains de partis politiques"... A ces partis politiques qui veulent "dépolitiser" l'élection du Procureur général, on se contentera de répondre qu'il n'y a pas beaucoup d'élections plus politiques que celle du maître de la politique judiciaire et pénale. Et qu'on fera ce qu'on peut pour que cette élection soit ouvertement, clairement, explicitement politique. Nous faisons un choix politique, nous ferons une campagne politique pour un candidat, Pierre Bayenet, que soutenons pour des raisons politiques, à un poste politique.

Et parce qu'on ne veut pas se contenter du plaisir qu'on prend à ce qu'à la fin des fins d'un grand roman (ou d'un médiocre film), le Comte de Monte-Cristo finisse par terrasser le Procureur de Villefort. 

Commentaires

  1. Si je comprends bien, Jornot a rempli les prisons tandis que Bayenet va les vider. Difficile choix pour les électeurs.

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