Budget de la Ville de Genève : L'éléphant dans la pièce
Jeudi 4 décembre, le personnel de la Ville de Genève faisait grève contre le projet du Conseil administratif de, pour réduire le déficit budgétaire, geler les mécanismes salariaux prévus par le statut du personnel et de renoncer à repourvoir des dizaines de postes vacants. Du coup, le Conseil administratif, dégelait ce qu'il avait l'intention de geler, et le Conseil municipal l'approuvait. Rien que tel qu'une bonne grève pour ouvrir les yeux des politiques, le temps d'adopter un budget -après quoi, ils pourront les refermer. La Ville de Genève a donc un budget 2026 (le canton, pas encore...). Il lui a été donné par une majorité du Conseil municipal, formée de la gauche et du MCG, contre une minorité (le reste de la droite, "Centre" compris). Il se solde par un déficit de presque 70 millions pour 1,337 milliard de revenue. Pas de quoi hurler de désespoir, d'autant qu'un budget ne dit pas grand'chose du résultat financier de l'année concernée -c'est un catalogue d'intentions et une liste d'hypothèses: toutes les dépenses auxquelles le Conseil administratif a été autorisé ne seront pas faites, et d'autres imprévues le seront, et les recettes réelles ne seront pas celles prévues. Les Conseillères municipales et Conseillers munpaux qui siègent pendant des heures sur le projet de budget ne vivent pas le moment le plus important de leur année d'élu.e.s, si elles et ils en vivent certainement le plus chiant. Et parfois le plus creux. Au terme de l'exercice budgétaire, et de l'adoption d'un budget médiocre, mais acceptable sans doute en raison même de sa médiocrité, le Ministre municipal des Finances, Alfonso Gomez avertissant : pour arriver à un équilibre budgétaire auquel le canton contraint la Ville, il faudra repenser les dépenses. Mais pas les recettes ? C'est l'éléphant dans la pièce : l'impôt. Ne jamais en parler (sinon pour en exorciser l'augmentation). Ou alors à mots couverts. Calfeutrés, même.
Réfléchir aux recettes comme un miroir réfléchit la réalité : en l'inversant ?
Le débat budgétaire municipal genevois, comme sans doute le débat budgétaire cantonal, a été marqué par une obsession : le déficit. Le contenir, et si possible le réduire. Se tenir à un plan de "retour à l'équilibre". Et pour satisfaire à cette obsession, un seul moyen est envisagé : réduire les dépenses. Les "repenser". A gauche, on veut certes (pour reprendre les mots du PS) "répondre au mieux aux besoins de la population", "garder l'essentiel", "maintenir les prestations", mais c'est toujours "malgré les baisses de recettes", et en acceptant des coupes (pour 22 millions, dans le budget adopté lundi). Certes, on se rend compte que (toujours dans les mots du PS) "le compromis trouvé cette année ne se sera pas forcément durable" (à vrai dire, on sait qu'à coup sûr, il ne le sera pas), mais on ne va pas plus loin dans la prise de conscience que celle qu'"il sera probablement nécessaire de réfléchir aux recettes pour les années à venir". "Probablement", pas "certainement"...
Et si on faisait mieux qu'y "réfléchir" ? Agir ? Parce qu'y "réfléchir" (comme un miroir réfléchit la réalité en l'inversant ?), on le fait depuis des décennies. La gauche tient pourtant, sur l'impôt direct (celui sur le revenu), et donc sur les budgets publics qu'il finance, un discours constant depuis, disons un bon siècle (depuis la création, précisément, des premiers impôts directs modernes) : il est à la fois le moyen de financer des prestations publiques et le moyen de réduire les inégalités de ressources. Cette double fonction de financement et de redistribution a pour corollaire que le niveau de l'impôt est déterminé par la réalité sociale, et que quand la population a besoin de prestations supplémentaires, ou d'un renforcement des prestations existantes (et nous sommes précisément dans une telle situation) une augmentation de l'impôt se justifie par ce besoin de financement supplémentaire. Et que quand les inégalités sociales se renforcent, une augmentation de l'impôt se justifie par le besoin de réduire ces inégalités (et on y est aussi).
Avant que s'ouvre le dernier débat sur le budget de la Ville, et que ce budget soit adopté en satisfaisant aux revendications du personnel, le groupe de la gauche de la gauche estimait à juste titre que "Le déficit ne devrait pas être la préoccupation principale des élu-es de la Ville la priorité est l’élaboration d’un budget répondant aux besoins de la population". Or ces besoins sont en augmentation, sous les effets conjugués de l'aggravation de la précarité d'une part croissante de la population et d'une crise environnementale dont les plus précaires sont les premières victimes et les villes un des théâtres privilégiés -un privilège dont elles se passeraient bien, mais qu'elle doivent assumer. Ce qui nécessite des mesures fortes... et coûteuses : des places de crèches, le renforcement de l'accueil parascolaire, des logements sociaux, une offre culturelle pluraliste, des prestations sociales améliorées et élargies, l’intégration dans la fonction publique de celles et ceux qui travaillent pour la collectivité publique, tout cela doit trouver un financement, ce financement ne peut être fourni que par l'impôt direct. Et donc une imposition accrue de celles et ceux qui en ont les moyens. Une augmentation des centimes additionnels, c'est-à-dire de l'impôt municipal , c'est celle d'un impôt progressif, que les plus modestes ne paient pas, et que les riches paient en fonction de leur richesse. Après les cadeaux qu'ils ont reçu de la part du canton, ils peuvent se le permettre.
Tout le monde paie des impôts. Les nouveaux-nés prématurés en couveuse paient un impôt. Les agonisants en soins palliatifs paient un impôt. Les sdf paient un impôt : cet impôt, c'est la TVA. L'impôt que tout le monde ne paie pas, c'est l'impôt sur le revenu et la fortune. Parce qu'on ne paie pas un impôt sur le revenu quand le revenu est trop bas pour le payer, et qu'on ne paie pas un impôt sur la fortune quand on n'a pas de fortune.
Une augmentation de l'impôt direct se justifie donc aujourd'hui, tant au plan cantonal qu'au plan communal, là où elle est concevable (et elle l'est en Ville de Genève). D'ailleurs, elle est constamment proposée par le parti socialiste cantonal genevois et ses députés au Grand Conseil -avouez qu'il serait assez farce que le parti socialiste municipal et ses élus au Conseil municipal n'osent pas en faire autant... Une hausse de l'impôt direct cantonal serait bienvenue, et une hausse de l'impôt direct communal serait taboue, alors qu'il est basé précisément sur l'impôt cantonal ?
Cette hausse serait sans doute combattue par un référendum lancé par la droite -comme nous avions nous-mêmes combattu par référendums les modifications budgétaires imposées par la droite. Fort bien, ce serait donc aux habitants (du moins celles et ceux qui, disposant du droit de vote, consentent à en user) de choisir entre une (modeste) hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations. Cantonalement, d'ailleurs, toute modification du cadre fiscal est obligatoirement soumise au vote populaire. Des votes lors desquels la gauche défend toujours un renforcement de l'imposition directe. Elle a d'ailleurs, la gauche, formé avec les syndicats et les mouvements sociaux un comité unitaire cantonal contre les projets budgétaires et fiscaux du Conseil d'Etat. Un comité dont font partie les socialistes et les Verts. Est-ce que refuser de proposer en Ville ce qu'on propose au canton, a un sens ? On n'en est pas encore là, mais laisser les habitants de la Ville choisir entre une prudente hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations, c'est une démarche claire, cohérente, dont on n'a pas à avoir peur.
"Il va devenir nécessaire, dans les années qui viennent, de faire émerger un débat sur la question de recette fiscales", écrit encore le PS. Mais s'il est nécessaire de le "faire émerger", c'est bien qu'on a tout fait pour qu'il soit immergé, non ?



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