Naufrage du "service citoyen" dans les urnes

Echec à l'arnaque

L'initiative pour un "service citoyen" obligatoire, y compris pour les femmes, a finalement été balayée par le peuple dans tous les cantons, en n'ayant été soutenue que par 16 % des votant.e.s, soit bien moins que l'initiative pour l'abolition de l'armée -qui elle, le 26 novembre 1989 avait été acceptée par 35,6 % des votant.e.s, et avait même été majoritaire dans deux cantons, Genève et le Jura. On ne pleurera pas sur le naufrage 36 ans plus tard d'une initiative pour un "service citoyen" qui était surtout une initiative contre les femmes et la protection civile, et dont l'objectif essentiel était de regonfler les effectifs de l'armée et de la protection civile en les féminisant (comme une sorte de modernisation du service complémentaire féminin) : quand l'électorat de gauche, plutôt sympathisant d'un "service citoyen" c'est rendu compte de l'arnaque qui se dissimulait (assez mal, d'ailleurs) dans les dispositions de l’initiative  comme les petits caractères d'un contrat d'assurance, il a basculé dans le camp des opposants. Reste que le combat pour le maintien d'un service civil qui soit réellement une alternative au service militaire continue : le Conseil fédéral et le parlement ont choisi de s'y attaquer parce que trop de recrues potentielles le choisissent. Un référendum a été lancé, s'il aboutit (et il faut qu'il aboutisse -le délai est au 12 décembre) on votera. Contre le démantèlement du service civil. 

Le service civil, c'est déjà un "service citoyen"

"Nous avons réussi à créer un débat sur la cohésion nationale, le service à la collectivité, la place des femmes", tentait de se consoler comme elle pouvait du naufrage de son initiative pour un "service citoyen" la présidente du comité d'initiative, Noémie Rothen, alors que sa proposition n'était même pas une idée neuve : le Conseil fédéral avait déjà envisagé son introduction et étudié ses effets, avant d'y renoncer parce que cela coûterait trop cher (800 millions de plus en allocations pour perte de gains, 160 millions de plus pour l'assurance militaire) et que ça amènerait à l'armée et à la protection civile plus de recrues que nécessaire, doublant le nombre de personnes astreintes au service (elles sont actuellement 35'000, toutes des hommes, dont 28'000 dans l'armée, la protection civile ou le service civil, et 7000 payant une texte d'exemption). En fait, notre glorieuse armée ne manque pas de soldats : elle prévoit  d'en avoir 100'000, et d'avoir 140'000 astreints au service, elle en avait en 2024 respectivement 99'000 et 147'000... Ce n’était donc, déjà, pas essentiellement pour une raison de principe que la droite (sauf les Verts libéraux) refusait l'initiative, mais déjà plus trivialement, pour une raison de gros sous.  Et de gros sous que les entreprises auraient elles aussi perdus, puisqu'elles auraient dû remplacer les travailleuses et les travailleurs supplémentaires requis pour le service, en engageant des remplaçant.e.s ou en faisant effectuer à celles et ceux qui restent des heures supplémentaires payées plus cher que les heures normales. Du coup, l'électorat de droite comme celui de gauche abandonnaient l'initiative (alors que des personnalités de droite et de gauche faisaient partie du comité d'initiative), pour des raisons évidemment diamétralement différentes (la droite lui reprocha finalement d'affaiblir l'armée, la gauche de la renforcer -et de provoquer un dumping salarial). Résultat : alors qu'un premier sondage donnait l'initiative soutenue par 51 % de l'électorat, un deuxième sondage ne lui en donnait plus un mois plus tard que 28 %, pour un résultat final à 16 %. 

L'initiative, pour qui "une réforme est nécessaire pour rendre l'obligation de servir plus attrayante" exigeait que les effectifs de l'armée soient garantis, mais ne précisait pas comment. Elle ne précisait pas non plus quelles seraient les tâches du service milicien qu'elle propose, et laissait au législateur le soin de déterminer lesquelles seraient "pertinentes à l'avenir pour la sécurité et la cohésion nationale", pour reprendre les termes du comité d'initiative dans la brochure officielle... L'objectif de l'initiative, c'était donc bien de regonfler les effectifs de l'armée, et accessoirement de la protection civile, et collatéralement d'acheter plus d'armes et de construire plus de casernes puisqu'il pourrait y avoir deux fois plus de soldats... Ce renforcement de l'armée est un objectif partagé par le parlement fédéral et par le gouvernement, avec pour cible le service civil, dont il propose de réduire les effectifs de 40 %, parce qu'il attire chaque année 6600 recrues potentielles ("un phénomène de masse" constate sombrement le Conseiller fédéral Parmelin) alors même que sa durée est d'une fois et demie celle du service militaire.  L'initiative proposait quant à elle de biffer carrément la seule mention constitutionnelle existante d'un service civil. Mais on s'interroge : est-ce que les partisans d'une réduction des possibilités d'effectuer un service civil se rendent comptent que ceux à qui on en refuse l'accès trouveront quand même, toujours, le moyen d'échapper au service militaire, quitte à payer une taxe d'exemption ? 

Le service civil, c'est déjà, malgré tous ses défauts, un "service citoyen" introduit pour concrétiser le droit à l'objection de conscience. Ce service, que les deux tiers de ceux qui le choisissent effectuent dans le scolaire, la santé et le social, est une conquête citoyenne. Et une conquête citoyenne, ça se défend, du même mouvement où l'on combat un "service citoyen" qu'on envisage même d'imposer à des non-citoyens (les étrangers) et qui, au bout du compte, ne revient (en arrière de plusieurs décennies) qu'à réimposer un service militaire à des personnes qui s'y refusent.


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